L’assemblée nationale camerounaise vient de voter une loi sur la promotion des langues officielles. En réalité une loi qui vise la promotion plutôt de l’anglais, malmenée dans l’administration et les services publiques, pourtant ayant dans la loi fondamentale la valeur que le français qui a pris la suprématie dans la faits
Le 24 décembre 2019, dans la fébrilité des fêtes, le président de la République du Cameroun, Paul Biya, était occupé à travailler. Au point de partager avec les Camerounais le fruit de son travail sur son compte tweeter, à savoir la ratification ou promulgation de 9 lois votées par l’Assemblée nationale, qui entraient en vigueur dès ce jour. Parmi ces 9 lois, celle qui retient notre attention est celle numéro 2019/019 du 24 décembre 2019 portant promotion des langues officielles, reçu pour examen lors des plénières le 25 novembre à l’Assemblée nationale et le 26 novembre 2019 au Sénat.
En résumé, la loi tient à assurer l’égalité de l’usage de l’anglais et du français dans l’espace public et inciter les Camerounais à s’exprimer dans les deux langues. L’Etat devra pour cela tout mettre en œuvre pour promouvoir la pratique du bilinguisme dans les structures publiques. De même, les entreprises privées, les organisations patronales et syndicales, les diverses organisations de la société civile sont encouragées à promouvoir en leurs sein l’usage des deux langues indifféremment, tandis que l’Etat mettra en place des structures de formation pour permettre aux citoyens de renforcer leurs connaissances dans ces deux langues.
L’anglais relégué au second plan dans les institutions
Cette notion de bilinguisme qui fait l’objet d’une loi aujourd’hui, est l’une des valeurs de la république la plus malmenée publiquement par les gouvernants. A l’Assemblée nationale, cela fait 27 ans, si l’on s’en tient à l’ère Cavaye Yeguié, que les discours d’ouverture et de clôture des sessions sont prononcés en français. Les débats sont également conduits en français, les textes sont d’abord élaborés en français et parfois on oublie de les traduire en anglais. Ici dans cette Chambre du parlement, qui est en principe le laboratoire des lois, la loi fondamentale n’est pas respectée. La Constitution de la république, dès le premier article pourtant, dit à l’alinéa 3 que « La République du Cameroun adopte l’anglais et le français comme langues officielles d’égale valeur. »
La formulation de cet alinéa n’est pas anodine, les juristes le diront, car en matière de droit les mots ont un sens, et la position dans la formulation compte aussi. Certains diront que ce sont des détails, en oubliant que c’est justement dans les détails que se trouve le diable. Pour illustrer l’importance des détails dans la construction des phrases, un maitre de l’école primaire expliquait que quelqu’un avait été pendu à cause d’une virgule. L’histoire se déroule à l’époque coloniale, quand les nationalistes étaient pendus une fois arrêtés. Un jour, l’un d’eux avait été arrêté et conduit au camp, mais l’administrateur de la localité ne voulait pas qu’il subisse le même sort que les autres. Il envoya son clerc voir le responsable du camp avec un papier sur lequel il avait écrit ces mots : « Ne pas le laisser pendre. » Le clerc, qui était très zélé et instruit aussi, sur le chemin, plaça une virgule entre les mots « laisser » et « pendre », ce qui changea radicalement le sens de la phrase. L’instruction qui au départ était de ne pas le laisser pendre, devint « ne pas le laisser, virgule, pendre. » Le chef de camp qui reçut le mot fit pendre le prisonnier, faisant ainsi exactement le contraire de ce que l’administrateur voulait, à cause d’une virgule.
C’est la même chose qui arrive encore aujourd’hui, des Camerounais continuent de mourir, juste parce que les termes de la Constitution ne sont pas respectés à la lettre, le mauvais usage fait des langues officielles étant l’un des principaux fondements de la crise anglophone. Il est écrit que le Cameroun adopte l’anglais et le français comme langue officielles d’égale valeur. Dans l’ordre, l’anglais vient avant le français, c’est dire qu’en application stricte de cette formulation, les papiers entête des administrations devraient commencer par l’anglais avant de continuer en français, mais c’est le contraire qui est observé. En plus, la Constitution parle d’égale valeur, ce qui n’est non plus observé dans la typographie, ou la façon d’écrire même sur ces entêtes. Le français est écrit en police normale et parfois en gras et en plus grande taille, alors que l’anglais est en italique léger et de taille plus petite.
Complexe des membres du gouvernement
Tout cela a un sens en droit, ce sont tous ces détails qui aujourd’hui confortent et concrétisent le second plan auquel est reléguée la langue anglaise. Et le problème qui se pose à l’écrit est encore plus grave à l’oral. A certains postes au Cameroun, des personnalités sont nommés sur la base de leur appartenance à la communauté anglophone, l’exemple le plus visible étant celui de la fonction de Premier ministre. Cette pratique a cours depuis le 9 avril 1992 avec la nomination de Simon Achidi Achu. L’idée était sans doute que ces premiers ministres fassent la promotion de la langue anglaise dans l’exercice de leurs fonctions, mais lors des cérémonies officielles ils s’expriment toujours en français, au point même où certains ministres francophones les devancent dans l’utilisation de la langue anglaise pendant les cérémonies ou en face des médias.
Dans les médias d’Etat, la langue française est prédominante. D’aucuns expliquent cela par la proportion de la population, mais la Constitution elle parle d’égale valeur, elle n’a pas prévu qu’une langue parmi les deux sera utilisée en fonction de la population. Faut-il le rappeler, l’adoption des deux langues comme langues officielles était le résultat des accords de fédération du Cameroun anglophone et du Cameroun francophone, et dans ces accords aucun Etat n’était supérieur à l’autre, donc aucune langue n’est supposée être supérieure à l’autre.
Une loi de plus pour rien
Si le système gouvernant avait été regardant sur cette disposition constitutionnelle, on ne serait pas aujourd’hui à refaire une loi qui dans l’ensemble dit exactement la même chose que ce qui est déjà dans la Constitution. Après la commission du bilinguisme et du multiculturalisme, le texte portant sur la promotion des langues officielles du Cameroun est juste une autre vaine tentative de rattraper les erreurs du passé. L’article 18 par exemple dit que « les enseignes, les logos, les pancartes et les différentes annonces sont produits par les entités publics en anglais et en français, en respectant une égalité de présentation formelle en termes de couleur, de typographie, de taille et de police des caractères. »
Mais il est évident que du chemin reste à faire, si l’on ne rend pas obligatoire certaines pratiques tout en éliminant d’autres. A ce sujet hélas, la loi n’a pas manqué de bloquer son application comme il est de coutume au Cameroun. L’article 27 précise que « L’Etat assure le suivi et l’évaluation de la politique nationale de promotion des langues officielles à travers un organe consultatif créé par un texte particulier », et l’article 28 d’insister pour dire que « des textes règlementaires précisent, en tant que de besoin, les modalités d’application de la présente loi. »
Au stade actuel des choses, il faut simplement prier que ces textes particuliers sortent vite des tiroirs, sinon sur ce sujet aussi, on serait encore loin d’avoir vu le bout du tunnel … sans parler d’en sortir
Roland TSAPI