La rencontre de Yaoundé va plancher sur tout sauf de ce qui constitue le principale revendication des sécessionnistes

La grande palabre camerounaise s’est ouverte le 30 septembre sous l’arbre appelé Palais des Congrès à Yaoundé. Beaucoup de couleurs dans la mise en place, de la joie également perceptible sur le visage des participants visiblement heureux d’être de cette rencontre historique. Mais y être n’est pas l’essentiel, il va falloir que chacun marque cet événement de ses empruntes indélébile. Et c’est ce que le Premier ministre Dion Ngute a rappelé aux participants dans son discours d’ouverture, en ces termes : « la gravité de la situation qui prévaut dans les deux régions du Nord Ouest et du Sud-Ouest doit nous interpeller et nous préoccuper, mais surtout nous astreindre tous, individuellement et collectivement, indépendamment de nos régions d’origines, de nos convictions politiques ou religieuses, à une obligation de résultat, à savoir le retour de la paix et de la tranquillité dans ces deux régions. 

Le peuple camerounais nous regarde, le monde entier nous observe. Il nous appartient désormais d’indiquer de quelle manière nous voulons entrer dans l’histoire : voulons nous que les générations futures gardent de nous le souvenir d’avoir été incapables de trouver des réponses consensuelles, à des préoccupations qui ne sont pourtant pas insolubles, ou alors voulons nous être considéré comme de véritables « artisans » de la paix, dans la résolution de cette crise qui a privé un grand nombre de nos enfants de leurs parents, de leur scolarité et menacé leur avenir, parfois de manière irréversible ?

Notre intelligence commune et notre responsabilité individuelle doivent nous amener à défendre la paix, en tout temps et en tout lieu, quel qu’en soit le prix et à rejeter l’horreur de la guerre, de ses massacres et de ses atrocités, qui pénalisent sur tous les plans les individus et la collectivité. »

Situation hors de contrôle

De manière définitive et sans équivoque, le Chef du gouvernement confirme qu’il y a un problème anglophone, et mieux, que la situation est grave dans ces deux régions. Il est évident que si ce discours avait été prononcé un, deux ou trois ans plus tôt, la situation n’aurait pas été celle que l’on vit aujourd’hui, car admettre l’existence d’un problème est le début de la solution que l’on peut y trouver. Le vrai problème, le premier ministre l’a rappelé à l’entame de son discours, reprenant avec ses mots le président de la république le soir du 10 septembre 2019. Tous reconnaissent que si tout est parti des revendications corporatistes, « un projet sécessionniste s’est cependant greffé aux revendications corporatistes, conduisant à des actes ignobles de violence, et perturbant sérieusement la vie économique et sociale dans les deux régions concernées. »

Le problème est donc bien identifié, c’est le projet sécessionniste, c’est-à-dire qu’une partie de la population veut revenir à la situation de la période coloniale, où il y avait deux Cameroun, le Cameroun oriental et le Cameroun occidental. Ces populations estiment que l’unification des deux Cameroun leur a fait plus de mal que de bien, et demandent ni plus ni moins un retour à la case départ.

                                                       la forme y est. Mais le fond?

Déni

Sauf qu’au cours du dialogue on veut discuter de tout sauf de ce problème. Le Premier ministre a rappelé que 8 grandes thématiques vont être discutées en  commissions,   à savoir le bilinguisme, diversité culturelle et cohésion sociale, les système éducatif, le système judiciaire, l’aide au retour des réfugiés et des personnes déplacées, la reconstruction et le développement des régions touchées par la crise, le désarmement, la démobilisation et la réintégration des ex-combattants issus des groupes armées, le rôle de la diaspora dans la crise et la contribution au développement du pays, et enfin la décentralisation et le développement local. La forme de l’Etat n’a pas été retenue comme thème. Le pouvoir continue d’éluder ce sujet, alors qu’il est clairement identifié comme étant désormais la principale paume de discorde entre Yaoundé et les sécessionnistes.

La logique du faux fuyant

Les questions à l’ordre du jour, débattues et résolues avec la plus la plus grande efficacité par les hommes les plus sincères, ne répondront malheureusement pas à cette question centrale que pose les sécessionnistes. Que coûte-t-il au pouvoir de mettre ce sujet en débat, quitte à convaincre la partie adverse qu’il n’est pas opportun de partitionner le pays pour telle ou telle raison ? Le gouvernement de Yaoundé maque-t-il tant la force des arguments pour discuter, pour ne privilégier jusqu’ici que les arguments de la force ? Dans cette logique d’évitement,  le gouvernement est hélas soutenu par des personnalités comme le Sultan des Bamoun Mbombo Njoya, qui a déclaré à la cérémonie d’ouverture du dialogue en ces termes: « ainsi, en dehors de la sécession, l’on peut aisément aborder tous les sujets de la vie nationale. »

Fédéralisme

On ne peut cependant continuer à laisser de côté le problème central pour discuter des questions périphériques, et prétendre vouloir apporter une solution. Dans son discours le Premier ministre a rappelé qu’il n’y aucune préoccupation insoluble, et il n’y a rien de plus vrai. Raison de plus pour mettre la forme de l’Etat en discussion, quitte à convaincre que cela ne vaut pas la peine.

Pour la résolution de ce problème de forme de l’Etat, l’idée de la fédération prospère pourtant depuis le début de la crise dans plusieurs proposition, et John Fru Ndi l’a réitéré dans son allocution en ces termes : « Il ressort des faits historiques ci-dessus énumérés, et qui sont loin d’être exhaustifs, que si nous voulons trouver une solution durable à la crise Anglophone, nous devons mettre en place une Commission de Rédaction de la Constitution qui préparera une nouvelle Constitution Fédérale pour le Cameroun. »

L’économiste Dieudonné Essomba ne cesse aussi de mettre le régime de Yaoundé  en garde, soutenant que le fédéralisme seul viendra mettre fin à la querelle. Dans une récente publication il pose la question suivante « Comment les gens de Yaoundé ont pu croire qu’on pouvait imposer les liens d’un Etat unitaire à une Communauté représentant 20% de la population, et qui plus est, a déjà vécu dans un système fédéral, et sous la supervision des Nations-Unies ? », avant de répondre je cite : « L’Etat unitaire est clairement un faux projet qui ne peut aboutir qu’à l’horreur ! Il faut en sortir définitivement et immédiatement! »

Au premier ministre de savoir s’i au cours du dialogue on va continuer à tourner autour du pot, ou s’il est temps d’aller droit au but en mettant le doigt dans la plaie.

Elle fera peut être mal mais la guérison passe par là.

Roland TSAPI