Depuis 1919, il y a 100 ans cette année 2019, l’administration du Cameroun oriental était assurée par la France, d’abord avec un mandat confié par la Société des Nations puis comme territoire sous tutelle des Nations unies. C’est cette partie du pays qui est aujourd’hui qualifiée de francophone. La partie nord de l’ancienne colonie allemande quant à elle était administrée par le Royaume-Uni, ce qu’on appelle le Cameroun anglophone.
Velléité d’indépendance
A la fin de la deuxième guerre mondiale, la question de l’indépendance est posée avec plus d’acuité un peu partout en Afrique. Au Cameroun francophone, la France ne voyait pas d’un bon œil cette idée, l’indépendance était donc refusée par les autorités françaises comme par les colons installés dans le pays. A la suite de la Conférence de Brazzaville, organisée du 30 janvier au 8 février 1944 par le Comité français de libération afin de déterminer le rôle et l’avenir de l’empire colonial français, ils avaient créé, le 15 avril 1945, l’Association des Colons du Cameroun (ASCOCAM) dans le but de défendre leurs intérêts et d’empêcher le progrès social revendiqué par les syndicats.
Dès septembre 1945 des affrontements ont lieu entre les membres les plus radicaux de l’Association des colons du Cameroun et des « indigènes » dont certains sont abattus. Dans la mouvance, le plus important mouvement indépendantiste, l’Union des populations du Cameroun (UPC), est constituée le 10 avril 1948 à Douala. Sous le label de ce parti nationaliste, Ruben Um Nyobé défend avec acharnement l’indépendance et la réunification pour les deux Cameroun. A cet effet, il se rend trois fois à l’Assemblée générale de l’Onu, en 1952, 53 et 54, malgré les manœuvres de l’administration coloniale conduite par Louis Paul Aujoulat pour que l’Onu ne le reçoive pas.
Traque et indépendance de façade
A son retour des Nations Unis en 1954 où il avait fait entendre une fois de plus la voix du Cameroun profond qui aspire à se libérer du joug de la colonisation, les colons français radicaux multiplient les méthodes pour éteindre l’Upc devenu à leurs yeux très dangereux. D’après les documents historiques, ils fabriquent de toutes pièces les émeutes de 1955 à Douala, qu’ils mettent sur le dos du parti et l’interdisent le 13 juillet 1955. Mais sachant que la marche vers l’indépendance est désormais irréversible, et se méfiant du premier ministre André Marie Mbida dont les idées n’étaient pas très loin de celles des vrais nationalistes, ils le poussent à la démission en 1958 et installent à sa place Ahmadou Ahidjo, qui proclamera l’indépendance du Cameroun oriental le 1er janvier 1960, en prononçant un discours revu et corrigé par eux, les colons. L’indépendance est d’ailleurs précédée 4 jours plus tôt par la signature le 26 décembre 1959 du pacte colonial entre la France et le Cameroun, contenant des clauses secrètes comme la dette coloniale ou l’appartenance à la France du sous-sol camerounais.
Et même quand on parle de pacte signé entre le Cameroun et la France, c’est juste pour parler en français, car d’après l’historien Thomas Tchatchoua, les accords de défense entre le Cameroun et la France ont été négociés, côté camerounais, par deux français : Jacques Rousseau et Georges Becquey, alors que Ahmadou Ahidjo était président. Dans un résumé des évènements de l’époque par l’encyclopédie en ligne Wikipédia, pendant les premières années du régime, l’ambassadeur français Jean-Pierre Bénard est parfois considéré comme le véritable « président » du Cameroun. D’après Augustin Mensah dans le livre intitulé « Cameroun, la guerre d’indépendance, une histoire toujours taboue », Pierre Messmer alors haut-commissaire de la France au Cameroun, « [accorde] l’indépendance à ceux qui la réclamaient le moins, après avoir éliminé politiquement et militairement ceux qui la réclamaient avec le plus d’intransigeance. »
L’histoire se répète avec le dialogue
Le schéma du dialogue en cours à Yaoundé est le même. Depuis trois ans les Camerounais demandent le dialogue pour résoudre la crise qui sévit dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest. Ceux des Camerounais qui ont reconnu qu’il y avait un problème anglophone dès le début ont été taxés d’ennemis de la nation. Et pour finir, le président de la république convoque le dialogue et le confie à ceux qui le demandaient le moins, pour ne pas dire à ceux qui ne voulaient pas en entendre parler. Le Pouvoir se comporte ici exactement comme le colon lors de l’indépendance. C’est lui qui fixe la date et le lieu, établi un agenda, dresse l’ordre du jour, choisi les thèmes à débattre, nomme à la tête des commissions et en désigne les membres, les participants dorment là où il veut, mangent ce qu’il a préparé, emprunte les moyens de transport apprêtés par lui, et se soignent dans les hôpitaux qu’il a sélectionnés. Bref, le pouvoir tient les rênes, tire les ficelles. Exactement comme l’indépendance qui a été accordée au Cameroun oriental en 1960, une chèvre vendue mais dont la corde est restée bien retenue.
Apprendre du passé
Quand on évoque le passé, s’est pour s’en inspirer pour mieux faire, apprendre des erreurs antérieures et les éviter. L’histoire va-t-elle se répéter pour le grand dialogue national ? Les accords vont-ils être signés entre le Pouvoir et le Pouvoir, comme ce fut le cas pour le pacte colonial ? Il faut le craindre, car comme dit une sagesse populaire africaine, si dans une forêt vous rencontrez le même arbre deux fois, cela veut dire que vous vous êtes trompé de chemin. Et comme l’a dit le Premier ministre Dion Ngute à l’ouverture des travaux, aucune erreur n’est désormais permise. Ayons la naïveté de le prendre au mot, avec le secret espoir qu’il était sincère quand il le disait, qu’il ne s’agissait pas d’un discours politique, qui généralement n’engage… que ceux qui y croient.
Roland TSAPI