Il est rare, le discours de Paul Biya. Au point où quand il y a eu une tentative avortée samedi 7 septembre 2019 de s’adresser à la nation, les populations ont eu l’impression d’avoir manqué un passage de soleil en plein hiver. La journée du 10 septembre a été plus apaisante, après l’annonce la veille au journal de la radio nationale, cette fois par un communiqué du Directeur du Cabinet civil de la présidence Samuel Mvondo Ayolo, de l’adresse à la nation du président Paul Biya 24 heures plus tard. Et l’attente a été très longue, et puis à 20h, silence, hymne nationale, le président parle, et de la crise anglophone.
Enfin pourrait-on dire, pour la première fois depuis 3 ans, le président de la république a pris la parole pour adresser exclusivement cette situation qui prévaut dans deux régions du Cameroun depuis octobre 2016.
La crise minimisée
Mais le plus important pour les Camerounais n’était pas qu’il en parle, mais surtout ce qu’il allait en dire. Et ce qu’il faut retenir c’est qu’il y aura un dialogue national, à la fin de ce mois de septembre 2019. Pour parler de quoi concrètement ? D’après Paul Biya, « depuis la survenance de la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, jamais le terme dialogue n’a été autant évoqué, prononcé, voire galvaudé. » Le terme galvauder veut dire compromettre ou mal employer, et le président de la république rappelait là que le mot dialogue n’a pas toujours été employé à bon escient.
Il précise sa pensée par la suite, après avoir fait un clin d’œil à tous ceux qui ont souvent préconisé cette solution, en disant:« Il y a toutefois lieu de remarquer que la prolifération de ces initiatives s’est parfois malheureusement appuyée sur des idées simplistes et fausses, procédant de la propagande sécessionniste. Il en est ainsi de la prétendue marginalisation des Anglophones, de la persécution de la minorité anglophone par la majorité francophone, du refus du dialogue par notre Gouvernement au bénéfice d’une solution militaire à la crise ou encore des accusations ridicules de génocide. » L’emploi du mot « prétendu » que fait le président de la république pour parler du problème anglophone vient malheureusement déteindre sur le discours, car il sous-entend que tout ce qui est à l’origine de la crise est prétendue, rien ne serait vrai dans tout cela.
Déni
Pourtant à l’entame de son discours il a lui-même reconnu que cette crise est née des revendications corporatistes des avocats et des enseignants, qui réclamaient la traduction en langue anglaise des Actes Uniformes OHADA et la préservation de la spécificité du système judiciaire et du système éducatif anglo-saxon dans les deux régions. N’était-ce pas déjà de la marginalisation ? Sinon pourquoi avoir pris toutes ces mesures qu’il énumère, à savoir la traduction en langue anglaise des textes OHADA, la création d’une section de la Common Law à la Cour Suprême et la création également d’une section de la Common Law à l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature pour la formation des magistrats anglophones ? Pourquoi n’avoir pas pris ces mesures avant les revendications, si ce n’était de la marginalisation
Que le président de la république continue de minimiser la situation dans les deux régions en crise par l’emploi des mots comme « simpliste » et « prétendu » amène logiquement à se poser des questions sur le dialogue annoncé.
Acteurs au choix du pouvoir
Pour le président Biya, « Le dialogue dont il est question, concernera principalement la situation dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Mais il est évident qu’en cela même il touchera à des questions d’intérêt national, telles que l’unité nationale, l’intégration nationale, le vivre-ensemble, il ne saurait intéresser uniquement les populations de ces deux régions. Il aura donc vocation à réunir, sans exclusive, les filles et les fils de notre cher et beau pays, le Cameroun, autour de valeurs qui nous sont chères : la paix, la sécurité, la concorde nationale et le progrès. » Des objectifs assez nobles pour un dialogue. Mais quels seront les acteurs ?
A ce niveau nait une autre suspicion, quand le premier ministre est désigné comme celui qui va mener les débats. C’est-à-dire le chef du gouvernement, ce même gouvernement dont la mal gouvernance est pointé du doigt comme étant la vraie cause de la crise. Pourquoi le pouvoir de Yaoundé ne se détacherait pas le temps de ce dialogue ? On a vu dans d’autres pays africains, dans des situations pareilles, les hommes d’église entrer en scène pour conduire le dialogue national. Cela a été le cas en Afrique du Sud avec Monseigneur Desmond Tutu, en République démocratique du Congo avec Monseigneur Laurent Mosengwo pour ne citer que ces quelques exemples parlant. Au Cameroun le Cardinal Christian Tumi s’est même déjà proposé pour jouer ce rôle, pourquoi ne pas lui donner cette chance ?
En dehors de celui qui devra mener les débats, le président Paul Biya a également posé une autre question en ces termes, « S’agissant du dialogue lui-même, la question s’est toujours posée de savoir, Avec qui ? », avant de répondre: « Les nouvelles technologies de l’information et de la communication et notamment les réseaux sociaux ont malheureusement favorisé l’apparition de leaders autoproclamés, d’extrémistes de tout bord essayant d’asseoir leur notoriété par le biais d’injures, de menaces, d’appels à la haine, à la violence et au meurtre. Or, tuer des gendarmes ou des civils, kidnapper, mutiler, molester, incendier, détruire des infrastructures publiques, empêcher les enfants d’aller à l’école ou les populations de vaquer tranquillement à leurs occupations n’a jamais été, dans aucun pays au monde, source de légitimité pour représenter ou s’exprimer au nom des populations justement victimes de ces exactions. En démocratie, seule l’élection confère une telle légitimité. »
En clair tous les sécessionnistes doivent oublier leur participation au dialogue. Et comme l’a à juste titre relevé Jean Jacques Ekindi à la fin du discours, « il y a des dialogues qui réussissent, et il y a des dialogues qui échouent ». Il faut ajouter que cela dépend des ingrédients qui y sont mis. Car au final, le discours du président à la nation risque d’avoir été plus attendu…qu’entendu
Roland TSAPI