Pour la deuxième fois le mandat des élus locaux va être prorogé. Le président de la république, se fondant sur les articles 170 du Code électoral et 15alinéa 4 de la Constitution, a saisi le 17 juin 2019 l’Assemblée nationale à cet effet. D’une part, il informe la chambre basse du parlement qu’il a saisi le président du Sénat et le Premier ministre afin de les consulter sur la prorogation du mandat des conseillers municipaux jusqu’au 29 février 2020, et d’autre part il demande à la même chambre de bien vouloir réunir son bureau afin de le consulter sur la prorogation du mandat des députés pour une nouvelle période de deux mois à compter du 29 octobre 2019.

Simple formalité

Le président de la république évoque comme raison pour ce qui est de la rallonge du mandat des députés, le déroulement dans la sérénité de la session de novembre traditionnellement consacrée à l’examen de la loi des finances, et le souci d’harmoniser les délais nécessaires à la tenue d’un double scrutin législatif et municipal. Cette dernière raison est aussi celle évoquée pour solliciter la prorogation du mandat des conseillers municipaux.

Connaissant l’attitude de l’Assemblée nationale majoritairement acquise au Président de la république, cela va de soi que cette consultation n’est en réalité qu’une formalité et que la chambre n’osera pas donner un avis contraire au contenue des correspondances. Les conseillers municipaux vont ainsi bénéficier de 137 jours supplémentaires soit 4 mois et demi en fonction jusqu’au 29 février 2020 et les députés de 60 jours soit deux mois, jusqu’au 18 décembre 2019.

Jeu de dates

En s’en tenant au Code électoral, ces différentes dates ne concordent nulle part pour l’harmonisation des délais nécessaires à la tenue d’un double scrutin, que le Président utilise comme dénominateur commun pour ces prorogations. S’agissant des conseillers municipaux, l’article 148 alinéa 3 du code électoral dispose que la date de l’élection est fixée au plus tard 20 jours avant l’expiration du mandat, ce qui nous ramène selon le calendrier au 9 févier 2020, et pour les députés l’article 169 alinéa 3 fixe la date des élections à au plus 40 jours avant l’expiration, c’est-à-dire le 8 novembre 2019. L’écart entre les deux dates est de 92 jours exactement, et l’on ne peut dans ce cas parler d’harmonisation des délais, et le cadrage légal ne donne aucune possibilité autre d’harmoniser ces dates.

Selon l’article 86 alinéa 3 du même code en effet, « l’intervalle entre la publication du décret convoquant le corps électoral et la date fixée pour le scrutin est de 90 jours au moins. » Ce délai conduit aux dates respectives du 10 novembre 2019 pour la convocation du corps électoral des municipales et du 11 août 2019 pour les législatives. L’écart reste ici de 3 mois, et on se rappelle que la première prorogation du mandat de ces élus locaux en 2018, avait été justifiée par le souci d’éviter le chevauchement des dates des élections, et ces mêmes dates continuent de poser problème un an plus tard, en restant strictement dans le Code.

Application orientée de la Constitution

Il faut aller chercher loin dans la Constitution pour donner un sens à ce motif. L’article 15 dit qu’en cas de prorogation, l’élection de la nouvelle Assemblée a lieu 40 jours au moins et 120 jours au plus après l’expiration du délai de prorogation. Dans l’intervalle de choix qui va de 40 à 120 jours, 80 jours vont sûrement être choisis pour correspondre au 9 février et coïncider avec la date butoir de l’élection des conseillers municipaux.

Sauf que c’est ici que se referme le piège de la pertinence des motifs invoqués. Le même article 15 de la Constitution où le pouvoir est allé chercher les délais, pose un préalable pour la prorogation du mandat des députés, et dit que cela ne se fait qu’en cas de crise grave. Et l’on est en droit de se demander où se trouve la crise grave. L’harmonisation des dates pour des élections couplées est-elle une crise grave, ou l’examen de la loi des finances ? On se serait attendu, comme le clament les partis politiques, la société civile et la communauté internationale, à ce que la crise dans les régions anglophones et les incursions de boko Haram dans l’Extrême Nord du pays soit évoquées,  Et là on serait rassuré de la volonté du pouvoir de créer des conditions favorables pour la participation de tous à ces échéances électives, aussi bien en tant que candidats qu’en tant qu’électeurs. 

On se serait attendu à ce que la refonte du Code électoral qui dans l’état actuel prive une bonne partie de la jeunesse de moins de 20 ans du droit de vote soit évoquée, afin de redonner confiance à ce fer de lance de la nation qui voudrait et devrait avoir son mot à dire dans le choix des dirigeants. Au lieu de cela, le pouvoir est resté sur les bords, en évitant d’adresser les vrais problèmes. Au risque de se retrouver au bout de deux prorogations sans aucun résultat probant sur la vie de la nation, là où tout acte d’homme politique devrait être guidé par la vision du bien être global des populations de laquelle il se réclame détenir le mandat de présider aux destinées de la nation.

Roland TSAPI