Le président de la République a sacrifié au rituel, en s’adressant à la nation en fin d’année. Mais de plus en plus il parle plus qu’il ne dit véritablement quelque chose dans ses discours, s’il ne se contredit carrément. Le seuil de compétence est sans doute atteint depuis longtemps

Pour la 37 eme fois, Paul Biya s’est adressé aux Camerounais comme président de la république le 31 décembre 2019. 37 ans déjà qu’à la même heure le même jour, il prononce le même rituel composé de 5 mots : Camerounais, camerounaises, mes chers compatriotes. Pour ensuite faire le bilan politique, économique et social du pays pendant un an, suivi des promesses pour l’année suivante.

Et d’après lui, le pays a connu l’année qui s’est achevé, des progrès sur les plans social et économique. Rien à lui opposer à ce niveau, puisque les malades qui sont obligés de bloquer l’entrée de l’hôpital général de Yaoundé pour revendiquer les soins de dialyse, les titulaires des doctorats et Phd obligés d’attenter à leur vie sous l’immeuble ministériel de l’Enseignement supérieur, réclamant de l’équité dans les recrutements, pour ne parler que des deniers évènement du mois de décembre, constituent pour le président des progrès. Normal, surtout parce que comme le disent souvent ses ministres, de sa posture de président ses yeux voient ce que le citoyen ordinaire ne voit pas. De même, l’abandon des chantiers qui devaient être livrés pour une compétitions continentale de football en 2019, les coupures d’électricité de plus en plus régulières par manque de liquidité  pour acheter le gazole nécessaire au fonctionnement des centrales d’après l’opérateur, parce que l’Etat ne paye pas ses factures, le niveau de vie des populations qui n’a cessé de se dégrader, tout cela est considéré au plus haut sommet de l’Etat comme des avancées plutôt satisfaisantes de la croissance économique, pour lesquelles il faut  « remercier nos partenaires extérieurs, le FMI déjà cité, mais aussi la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement et l’Agence Française de Développement, pour leurs appuis budgétaires et leur soutien à nos réformes structurelles. » Simplement dit, l’économie Camerounaise se porte suffisamment bien, au point où on continue à dépendre des partenaires extérieurs pour avoir les appuis budgétaires.

des déplacés internes: privés du droit de vote

NoSo : la crise en crise

Pour ce qui est de la crise anglophone, le président de la république a reconnu que « C’est sans aucun doute, pour le moment, l’un des problèmes les plus urgents. L’activité criminelle des groupes armés continue de perturber la vie publique, économique et sociale dans ces régions. Pourtant, ces derniers mois, diverses mesures ont été prises pour ramener à la raison ces jeunes qui, pour la plupart, se sont laissé endoctriner. Des appels à déposer les armes leur ont notamment été lancés et des perspectives de réinsertion sociale ouvertes.» S’il admet que le problème reste urgent malgré des mesures prises, c’est admettre dans le même temps que la thérapie jusqu’ici appliquée est inefficace. Exactement ce que tous les analystes, observateurs, organisations civiles nationales et institutions internationales, ne cessent de relever depuis l’enlisement de cette crise. Mais ce n’est pas tout d’admettre qu’une solution n’a pas marché, encore faut-il avoir la volonté d’administrer une de bonne. Paul Biya dit à ce sujet « Pour ceux qui s’obstinent à demeurer  dans la mauvaise voie et qui continuent à avoir recours à la violence, nous n’aurons pas d’autre choix que de les combattre pour protéger tous nos concitoyens. Nos forces de défense et de sécurité feront une fois de plus leur devoir avec mesure, mais sans faiblesse. Je veux ici les assurer de mon total soutien et de ma haute considération. » Une fois de plus, le président de la république préconise la solution militaire là où tout le monde appelle à un dialogue franc avec les vrais acteurs.

Yeux fermés sur les fossoyeurs de la démocratie

Sur le plan politique, Paul Biya est encore resté sourd aux cris des victimes au quotidien des violations des droits civils et politiques, tout en parlant de pays démocratique. « Si l’on veut participer à la vie démocratique de son pays, il faut en respecter les règles et militer dans les partis politiques dont l’activité s’exerce dans le cadre du respect de la loi » dit-il. Mais il préfère se taire sur le fait que les sous-préfets qu’il a nommé sont devenus les véritables fossoyeurs de cette démocratie, par l’interdiction systématique des manifestations publiques projetées par les partis de l’opposition. La menace de trouble à l’ordre publique étant devenue la formule passe partout de ces derniers, pourtant le parti au pouvoir, celui du président de la république, peut organiser plus de 300 meetings à la fois sur l’étendue du territoire  lors des célébrations des anniversaires de son ascension au pouvoir et du Rdpc. Le président Biya, toujours dans le cadre de la démocratie, invite aussi les Camerounais à aller voter le 9 février 2020, sans dire où les populations qui ont déserté leur villes et villages des deux régions en crise, iront voter. Il est bien conscient que le suffrage doit être universel, qu’aucun citoyen ne doit être privé de son droit de vote contre son gré, mais il rassure que « des dispositions sécuritaires ont été prises pour que, sur toute l’étendue du territoire, tous nos concitoyens puissent exercer leur droit de vote. Si cela s’avère nécessaire, elles seront davantage renforcées. » On est toujours curieux de savoir quelle disposition sécuritaire peut permette à un Camerounais inscrit sur une liste électorale à Kumbo dans le Nord-Ouest et vivant désormais à Douala, de pouvoir exercer son droit de vote.

Diaspora honnie

Enfin, c’est par une véritable offense à l’endroit de la diaspora camerounaise que Paul Biya a achevé son discours, tandis qu’ailleurs les gouvernements mettent tout en place et créent des conditions favorables pour le retour des fils au terroir. Il dit « s’agissant du comportement excessif de certains de nos compatriotes de la diaspora – qu’ils soient ou qu’ils ne soient plus Camerounais – je pense qu’ils devraient, par patriotisme, s’abstenir de propos négatifs à l’égard de leur pays d’origine. On doit toujours respecter sa patrie, ses institutions et ceux qui les incarnent. » Ainsi par patriotisme, Paul Biya appelle la Diaspora à se taire sur la mal gouvernance qui les a poussé hors du pays, ou qui empêche certains de revenir. Quand le président fait en plus la précision « qu’ils soient ou qu’ils ne soient plus camerounais », il dévoile là la véritable intention que son gouvernement a envers cette diaspora, à savoir la tenir à l’écart.

Au cours du grand dialogue national d’octobre  2019, la recommandation d’abroger la loi obsolète du 11 juin 1968 sur l’impossibilité d’avoir une double nationalité a été faite. L’Assemblée nationale est entrée en session le mois suivant, et en est sortie sans que rien ne soit dit sur cette loi, pour qu’en fin d’année l’on vienne parler de patriotisme de la diaspora. Ailleurs les pays modifient des lois pour naturaliser des étrangers et exploiter leurs compétences, au Cameroun le gouvernement préfère garder une loi vielle de 52 ans pour maintenir hors du territoire des compétences nationales. Et comme par ironie, le 37eme message de fin d’année à la nation s’achève ainsi : « faisons ensemble du Cameroun une terre de grandes opportunités de développement économique et social, dans la paix et l’unité. » D’où la première question de l’année, comment peut-on vouloir faire ensemble, en tenant les autres à l’écart?

Roland TSAPI