Le gouvernement a passé encore l’année à tourner en rond au sujet de la crise anglophone, qui persiste au-delà des discours et des solutions de surfaces

La page 2019 se referme au Cameroun, moment indiqué pour faire le point dans différents domaines de la vie de la nation. Pourquoi faire le point, parce qu’il permet dans chaque secteur d’évaluer le chemin parcouru depuis le début de l’année,  relever les bons et les mauvais points et envisager l’avenir avec des mesures correctives au besoin. Au risque de survoler tous les domaines en essayant de les évoquer tous, nous avons choisi de nous arrêter sur la crise anglophone, l’un des sujets majeurs qui rythment le quotidien du gouvernement et des populations depuis octobre 2016. Prenant racine dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest avec des impacts dans tout le reste du pays, elle a d’abord été minimisée au début, mais s’est au fil du temps imposée dans l’agenda du pouvoir qui a été contraint d’accepter l’existence et en admettre les dégâts.

Diversion permanente

Les activistes de la crise ont de tout temps réclamé une autonomie de gestion, sous la forme d’une sécession  pour les uns et du fédéralisme pour les plus modérés, toutes des formes que le pouvoir central a préféré diluer dans la décentralisation. A ce sujet, lors de son discours à la nation le 31 décembre 2018, le président Paul Biya a déclaré : « les populations de ces deux régions auront pu constater la sincérité des intentions des autorités en ce qui concerne la délégation de nouveaux pouvoirs aux collectivités territoriales et la solidarité du reste de la Nation à leur égard. Mon souhait est qu’au bout du compte, l’unité nationale en sorte renforcée. » Et de conclure son message de fin d’année par ces propos  « en ces temps difficiles, croyez-moi, je consacre toute ma force et toute mon expérience au service de la paix, de l’unité et du progrès de notre cher et beau pays. Je compte sur chacun de vous pour m’y aider. »

Où en est-on 12 mois après ce discours, avec cette crise anglophone ? Au 4eme jour de l’année, Paul Biya a fait un premier geste en direction des anglophones, avec la nomination au poste de Premier ministre de Joseph Dion Nguté le 4 janvier 2019. Sa feuille de route toute tracée était la recherche des voies et moyens pour ramener la paix dans les deux régions. Ce qui l’a amené entre autre à faire une descente sur le terrain au mois de mai 2019, par une visite dans les deux capitales régionales, Bamenda dans le Nord-Ouest et Buéa dans le Sud-Ouest. Avec à chaque fois des promesses que les doléances seront portées au Chef de l’Etat qui est favorable au dialogue. Avant cette tournée, l’assemblée nationale avait adopté le 30 mars 2019 une loi portant modification partielle du Code électoral pour y introduire l’élection des conseillers régionaux. Les articles 249, 250 et 257 ont été modifiés, fixant notamment le nombre de conseillers à 90 pour que chaque région. L’évocation de ces élections avait été interprétée comme un deuxième geste en faveur de la résolution de la crise.

Solutions de surface

L’issue de la tournée de Dion Nguté avait surtout été l’appropriation de l’idée du dialogue national, finalement annoncé le 10 septembre 2019 au cours d’un discours inhabituel à la nation par le président Paul Biya, qui confiait la conduite à son Premier ministre. Ce dernier entama les consultations quelques jours plus tard, pour aboutir à la tenue effective de la grande messe du 30 septembre au 4 octobre 2019. Elle a accouché de plusieurs recommandations, dont celle de l’attribution d’un statut spécial aux deux régions bastions de la crise. La session ordinaire de l’Assemblée nationale du mois de novembre, qui a même connu une prolongation en session extraordinaire, a encore voté des lois parmi lesquelles deux au moins sont à mettre au compte des actions du gouvernement pour la résolution de la crise. Il s’agit de la loi  portant promotion des langues officielles, et celle portant Code général des Collectivités territoriales décentralisées, lesquelles ont été promulguées le 24 décembre 2019. Et là ce ne sont que les grandes actions de surface.

12 mois de surplace

En somme, au cours de l’année qui s’achève, le gouvernement n’aura « ménagé aucun effort », pour emprunter l’expression consacrée, pour que la paix revienne dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Y est-on parvenu pour autant ? L’on ne peut le dire en étant sincère. Le pouvoir s’est en effet beaucoup dépensé pour la crise anglophone, en prenant soin à chaque fois de laisser de côté le problème réel et trouver des solutions périphériques. L’année s’achève sans que l’on ne parle plus des élections régionales, pourtant annoncées à grand renfort de publicité dans le discours du chef de l’Etat en décembre 2018, appuyées par l’adoption de la loi du 30 mars 2019. Au grand dialogue national on a parlé de tout, en évitant d’évoquer la forme de l’Etat, le Code général des Collectivités territorial décentralisé a été adopté et promulgué en parlant de statut spécial des deux régions, sans que le contenu ne soit défini. On se serait attendu à ce que parlant de statut spécial, le pouvoir central de Yaoundé décide de lever la tutelle administrative sur les élus locaux, en supprimant par exemple les postes de gouverneur, préfet et sous-préfet nommés, pour instaurer un poste de gouverneur de région élu, que l’on aurait eu du concret.

Mais le pouvoir a passé l’année à tourner les lois dans tous les sens pour redire la même chose déjà connue, et sans rien lâcher de la main mise sur les deux régions, où la principale pomme de discorde reste une plus grande autonomie de gestion et la possibilité de disposer des ressources pour une développement plus contrôlé. Résultat des courses, au-delà des actions de communication tendant à faire croire que la situation est maitrisée, la crise anglophone est toujours bien là. Les dernières défections des candidats aux élections législatives et municipales de février 2020, y compris dans le parti au pouvoir pour des raisons d’insécurité, sont indicatrices de ce que la sérénité est loin d’être revenue dans ces zones. Et le Cameroun entame dans quelques heures une quatrième année, avec une guerre dont la résolution tient à un décret, avec le triste constat qu’en 2019, au sujet de cette résolution, le gouvernement aura beaucoup avancé…sur place.

Roland TSAPI