Les villes camerounaises deviennent de plus en plus le théâtre des débordements à la moindre étincelle. Les autorités semblent non seulement dépassées, mais aucune politique n’est prévue pour contenir le phénomène

La ville de Douala, capitale économique du Cameroun et de loin la plus peuplée du pays, est en proie à des attaques perpétrées par des jeunes, regroupés en bande avec pour but de semer la terreur à leur passage. Le phénomène a été vécu les 1er et 2 novembre 2019, avec une forte concentration dans les quartiers des  arrondissements de Douala 1er et 2eme. Une vidéo prise durant ces évènements montre des jeunes dans l’un des quartiers, armés de gourdins et autres armes blanches, qui avancent visiblement à la recherche d’une éventuelle résistance, qui leur donnera sans doute des motivations supplémentaires pour procéder à la casse. Une voiture de police  qui les suit s’arrête un moment, et un jeune s’approche sans avoir peur, frappe la portière de son bâton et le chauffeur accélère pour s’échapper, sans doute conscient qu’ils sont en sous-effectif pour faire face à ce groupe.

Pour le moment, les autorités administratives ont identifié ces mouvements comme étant le phénomène de « retour », sous-entendu de vengeance. Il suffit en effet désormais qu’une bavure soit commise sur un individu, pour que ceux qui se revendiquent de la même appartenance sociologique, ethnique ou professionnelle que la victime, s’organisent pour une expédition punitive à l’endroit du présumé auteur, de son groupe professionnelle ou ethnique.On a connu un exemple le 8 octobre 2019, quand des conducteurs de moto taxi ont pris d’assaut la mairie de Douala Veme, où ils croyaient trouver un agent de la mairie qui lors d’un contrôle routier a provoqué la mort de l’un des leurs, même comme le présumé coupable provenait plutôt de la délégation du ministère des transports. Les mutineries de Sangmélima le 10 octobre 2019 participaient de la même logique, et on peut en citer davantage d’exemple.

Violence urbaines

On est là en plein dans les violences urbaines, bien connues depuis des siècles avec le développement des villes, et définie  comme des actions faiblement organisées de jeunes agissant collectivement contre des biens et des personnes, en général liées aux institutions, sur des territoires disqualifiés ou défavorisés.En 1730 déjà, l’écrivain anglais Daniel Defoe avait adressé une lettre au maire de Londres, lui rappelant que « les citoyens ne se sentent plus en sécurité dans leurs propres murs, ni même en passant dans les rues.» Les « violences urbaines » telles qu’on les a définies apparaissent quant à elles clairement aux États-Unis dans les années 1960, en France au début des années 1980, pour ne citer que ces quelques pays.

Causes

Les théoriciens de tout temps ont toujours interprété cette violence comme la résultante de la privation, en expliquant qu’elle se développe lorsque l’élévation des aspirations des individus ne s’accompagne plus d’une amélioration comparable de leurs conditions de vie. Tout le propre du Cameroun et de la ville de Douala en particulier. Les principales cause jusqu’ici énoncées, et observables au quotidien autour de nous, qui se croisent et se  complètent,  sont  entre autres : Une situation familiale critique telle que la monoparentalité qui favorise  le relâchement du contrôle parental sur les jeunes, l’échec scolaire,  qui peut lui-même découler de la crise familiale, le chômage, fruit du contexte économique très difficile et qui  génère des rancœurs entre ceux qui ont un travail, des revenus, et ceux qui peinent à en trouver et qui se paupérisent.

La catastrophique gestion de l’espace urbaine vient en rajouter. Dans certains quartiers l’exiguïté des logements et la promiscuité dans lesquels les jeunes  sont  condamnés à vivre avec une famille nombreuse, les pousse finalement à tenter de s’approprier l’espace public le plus proche, à chercher à contrôler les grands espaces mitoyens comme les  dalles ou les lieux de passage stratégiques comme les cages d’escalier, les halls d’entrée, les entrées des cimetières, les dessous des ponts et des échangeurs.

Une fois ces territoires acquis, ils procèdent au marquage de leurs territoires, où ils exercent aussi d’un contrôle plus strict, par le biais de prélèvements illicites de biens publics ou privés, qu’ils appellent eux-mêmes « taxer », termes bien connus dans les rues de Douala.Toute chose qui a une influence immédiate sur la production de la violence, les différents membres étant solidaires entre eux et prêts à défendre les leurs et leurs territoire coûte que vaille. Le trafic de drogue et autre stupéfiants, la facilité d’accès au jeu de hasard et de l’argent désormais offerte par les boites à sous installées dans des carrefours et des bistrots, viennent compléter la liste des  ingrédients.

Solutions de surface

Saisissant le taureau par les cornes, le gouverneur de la région du Littoral, Samuel Dieudonné IvahaDiboua a présidé au cercle municipal de New Bell le 03 novembre 2019, au lendemain de la résurgence de ces violences, une réunion de sensibilisation des populations sur ce phénomène de retour. Réunion au cours de laquelle il a rappelé au préfet du Wouri et aux sous-préfets des différents arrondissements  des mesures à prendre. Rien de nouveaux sous les cieux, puisque le respect des  heures de fermetures des débits de boissons, l’une des solutions prescrites,  sont connues mais ignorées. Les comités de vigilances qu’il a aussi demandé de renforcer sont d’une efficacité questionnable pour ne citer que ces exemples.

Encore qu’il ne s’agit là que des solutions de surface. Aux Etats Unis, après que des émeutes raciales ont secoué les grandes villes en 1968, le sociologue afro-américain Kenneth Clark avait  déclaré devant une commission  réunie à la demande du président Lyndon Baines Johnson, qu’en lisant les rapports de ces violences, il voyait le même film qu’on repassait éternellement, avec les mêmes analyses, les mêmes recommandations, et la  même inaction.

Repenser la ville

D’autant plus que la reconstruction urbaine est préconisée comme solution aux violences urbaines. Repenser l’aménagement des banlieues a débuté dans les années 1970 aux États-Unis, en France, on parle d’ « architecture de prévention ». Changer la ville deviendrait un moyen de changer le mode de vie de celle-ci, Même comme  le problème des inégalités sociales est, en effet de plus en plus important.Selon la banque mondiale d’ailleurs, les interventions les plus efficaces traitent la violence urbaine comme une crise de santé publique, et ChloëFèvre, spécialiste senior du développement social dans cette institution  explique que « les stratégies de prévention de la violence efficaces consistent presque toujours en des stratégies multisectorielles et propres à chaque situation, elles doivent également prendre en compte les spécificités hommes-femmes et cibler avant tout les jeunes : plus les facteurs de risque sont neutralisés tôt, plus les chances de réussite sont élevées. » Mais en l’absence de gestion anticipative, dans les villes camerounaises, on est arrivé à une situation de quasi guerre, qu’elle soit psychologique, physique, économique ou politique. Et comme pour toute guerre, il y a ceux qui la nourrissent, il y a ceux qui s’en nourrissent, et il y a surtout ceux qui la subissent.

Roland TSAPI