Le déploiement sécuritaire qui se prépare au Cameroun pour les élections municipales et législatives est inédit. Après avoir laissé pourrir la crise dans deux régions du pays, le gouvernement semble désormais engagé dans un bataille pour rattraper ses propres errements, mais pointe le doigt accusateur ailleurs

Les élections annoncées au Cameroun le 9 février 2020, pour la désignation des maires et députés, ont été reportées par deux fois déjà. La première fois en 2018 pour « éviter le chevauchement de ce scrutin avec l’élection présidentielle », la seconde fois le 19 juillet 2019  pour des raisons d’harmonisation du calendrier électoral. Ce sont là en tout cas les raisons officielles. En réalité, ces élections s’avèrent être les plus complexes que le Cameroun n’aie jamais connues, et si le pouvoir de Yaoundé pouvait par enchantement les faire disparaitre, il n’hésiterait pas une seule seconde. Tout est en effet compliqué pour ces élections, malgré les assurances martelées par le ministre de l’Administration territoriale Paul Atanga Nji, dont le ton utilisé à chaque fois qu’il prend la parole, démontre qu’il n’est pas lui-même convaincue des conditions dans lesquelles elles vont se dérouler.

Climat de terreur

Depuis le 9 janvier 2020 soit 30 jours avant le scrutin, Elections Cameroon, devait déjà, d’après l’article 188 du Code électoral, arrêté et rendu publiques les listes définitives de candidatures, après les remplacements des candidats de certaines listes ou l’annulations pure et simple des autres, tels que décidés par les tribunaux administratifs et le Conseil Constitutionnel lors des contentieux. Mais ce n’est pas encore le cas. Ce n’est pourtant pas la chose la plus difficile à faire, puisque les listes qu’on peut qualifier de provisoires sont déjà connues, et il suffisait juste d’éliminer du fichier les listes déclarées inéligibles et mettre à la disposition du public les listes définitives. La vrai raison de ce retard est à chercher dans la terreur semée dans les régions anglophones par les combattants séparatistes, qui ont engagé une vrai chasse à l’homme après la première publication, avec pour cible les candidats dont les noms sont contenus dans ces listes. Pour se mettre en sécurité, certains candidats ont simplement décidé, courrier à l’appui, de se retirer des listes en évoquant clairement les conditions sécuritaires. Cela n’était jamais arrivé sous l’ère du renouveau.

Plan de guerre

A cause de cette situation, et de la complexité de ces élections, le pouvoir de Yaoundé se prépare à y aller comme un pays se prépare pour aller en guerre. Le ministre de l’Administration territoriale a à cet effet appelé à Yaoundé le 13 janvier 2020 les gouverneurs des dix régions du Cameroun. Que d’être une conférence statutaire des gouverneurs comme on en connait deux fois chaque année, cette rencontre avait tout l’air d’une réunion de crise convoquée par un  général de guerre pour travailler sur les stratégies de déploiement des troupes sur le terrain, au vu de la dangerosité de l’ennemie. La présence à cette rencontre du Secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Défense, chargé de la gendarmerie nationale, et du  Délégué général à la Sûreté nationale en dit long. Il ne manquait à l’appel que le ministre délégué à la présidence chargé de la Défense pour que le tableau soit complet.

Et le ministre de l’administration territorial a confirmé le caractère ad hoc de cette rencontre, en rappelant que c’est le Chef suprême des forces armés lui-même, le président Paul Biya, qui avait instruit la tenue de rencontre. « Les travaux qui s’ouvrent aujourd’hui, se tiennent sur très hautes instructions de Son Excellence monsieur Paul Biya, Président de la République, Chef de l’Etat et Chef des forces armées, qui nous a prescrit de faire le point des mesures prises ou envisagées en vue de permettre un encadrement sécuritaire optimal du double scrutin législatif et municipal du 09 février prochain », a-t-il dit. La précision faite selon laquelle le président de la République est le chef des forces armées n’est pas gratuite, elle rappelait le caractère hostile de la rencontre. Et c’est en véritable chef de guerre qu’il a martelé ces phrases « En effet, les très hautes directives du Chef de l’Etat sont claires : les élections doivent avoir lieu sur l’ensemble du territoire national, à savoir dans les 10 régions, les 58 départements et les 360 arrondissements. Ces élections doivent se dérouler en toute sécurité et en toute sérénité… Les gouverneurs et les Forces de défense et de sécurité feront leur travail de sécurisation du processus électoral dans les 10 régions en général et plus particulièrement dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Sur très hautes instructions du Chef de l’Etat, Chef des armées, un dispositif sécuritaire spécial et conséquent sera déployé dans les Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest avant, pendant et après le double scrutin du 09 février 2020.»

La  contradiction relevée dans ces propos traduit toute la complexité des élections de 2020. On ne peut faufiler entre les armes pour aller voter et parler de sérénité en même temps, car la simple présence des forces de défense dans un lieu de vote est la preuve que le climat n’est pas serein.

Effet boomerang

Le ministre rassure également que les élections se tiendront dans les 360 communes du pays. Et l’on sait d’après l’article 96 du Code électoral que tout bureau de vote doit se situer dans un lieu public ou ouvert au public, et en général ce sont les écoles et les églises qui sont réquisitionnées pour servir de centres et des bureaux de votes. Or, de l’aveu du ministre de l’Education de base, dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, 4 482 écoles sont détruites ou fermées, ou encore transformées en base arrière pour les groupes armés. Ce sont autant de centres de vote qui n’existent plus. Où iront donc voter les électeurs de ces communes aux écoles détruites ?  L’on se rappelle d’ailleurs que lors des élections sénatoriales du 25 mars 2018, A Menji, chef-lieu du département du Lebialem, les électeurs ont été transportés par hélicoptère vers un centre de vote où ils ont voté sous haute sécurité. Si l’on en est arrivé là pour une élection au collège électoral très réduit, qu’en sera-t-il pour une élection au suffrage universel ?

Le pouvoir se prépare pour une élection comme l’on se prépare pour aller en guerre, une guerre non seulement contre les fauteurs de troubles mais aussi contre le boycott. Mais à bien y regarder, c’est contre lui-même que le pouvoir se prépare à aller en guerre, parce que c’est bien lui le premier à avoir organisé le boycott de ces élections, en laissant pourrir une situation qui aurait dû être maîtrisée aux premières heures, en niant l’existence d’une crise aussi visible que le nez sur le visage, en trouvant des solutions inappropriées aux problèmes existants.

Roland TSAPI