Les préparatifs vont bon train dans les états-majors des partis politiques, qui peaufinent les listes des candidatures, mais rien n’est dit sur les deux régions en crise, désormais mis à l’écart dans les faits
Les élections locales se tiendront au Cameroun le 9 février 2020, suite à la convocation du corps électoral le 10 novembre 2019. Depuis cette décision du président de la République Paul Biya, les états-majors des partis politiques se sont mis en mouvement pour les investitures. Les médias ont fait large écho de ce qui se passait, tout en relevant les batailles au sein du parti au pouvoir, les tractations dans les autres partis, les jeux des alliances et autres. On a eu les échos de partout, mais on a très peu entendu et lu sur ce qui se passe dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Refus d’être candidat dans le Sdf
Si oui plutôt des démissions et des refus d’être candidat des militants du Social democratic front de Ni John Fru Ndi qui, compte tenu de la situation sécuritaire précaire dans ces régions désormais désertée même par les autorités administratives, avait décidé de faire simple en reconduisant les listes de 2013 dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest notamment. Ce qui n’a pas été du goût de maître Mbah Eric Mbah par exemple, député Sdf depuis quatre mandats à Batibo dans la région du Nord-Ouest. Dans une lettre datée du 20 novembre 2019 adressée au président régional du parti sous couvert du président de la circonscription électorale de Batibo, il l’exhorte à enlever son nom de toutes les listes qu’il constitue pour lesdites élections, ne souhaitant plus se représenter dans des conditions actuelles.
Pareil pour son confrère maître Ticha Mbah Iverse, de la même circonscription électorale. Il demande aussi en date du 22 novembre que son nom soit retiré de toutes les listes d’investiture, tout en précisant qu’il reste loyal au parti jusqu’à ce que la crise qui secoue les deux régions connaisse du répit. Maître Akum Henry fait également parti de ceux qui ne veulent pas être réinvestis pour ces élections dans le Sdf. L’on devra finalement attendre la publication des listes en compétition pour connaître les partis, en dehors du Rdpc et du Sdf, qui auront pris en compte ces deux régions dans leur bataille pour le contrôle des communes et des députés à l’Assemblée nationale.
Nord-Ouest et Sud-Ouest oubliés ?
Mais en attendant, il est évident à ce jour, que ces deux régions sont en marge des opérations, et que toutes les listes qui pourront être présentées comme issues des opérations d’investiture ne seront que de la pure forme pour essayer de donner l’impression que tout se passe bien. Le dialogue national du 31 septembre au 4 octobre 2019 a proposé un statut spécial pour les deux régions, le président Paul Biya l’a réitéré en France lors du Sommet de Paris pour la paix du 11 au 13 novembre 2019, mais jusqu’ici rien de concret. Dans une logique de recherche des solutions, le président de la République aurait commencé par user de ses prérogatives pour tout remettre à plat dans les communes de ces deux régions. D’après l’article 52 de la loi 2002/018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes, « en temps de guerre, le conseil municipal d’une commune peut être, pour des motifs d’ordre public ou d’intérêt général, suspendu par décret du président de la république jusqu’à la cessation des hostilités, le même décret constitue une délégation spéciale habilitée à prendre les mêmes décisions que le conseil municipal, il en précise la composition, et prévoit un président et un vice-président. » Cette mesure n’a pas été prise, juste parce que Yaoundé ne veut pas admettre sincèrement que les deux régions sont en guerre et appliquer les dispositions légales prévues en pareille circonstance.
Statut spécial
Dans l’esprit de ceux qui parlent de statut spécial, il s’agissait de renforcer l’autonomie et favoriser le développement local des communes, à travers une prise en main par les populations de leur destin, notamment dans la définition de leurs priorités de développement. Rien ne semble non plus présager que cela est une préoccupation pour le pouvoir de Yaoundé. Les récriminations formulées par les communes ont de tout temps été la mainmise du pouvoir central sur les collectivités territoriales décentralisées, à travers notamment leur maintien sous la tutelle des préfets nommés. Toutes les décisions prises dans les conseils municipaux à travers les délibérations, doivent en effet être soumises à l’approbation du préfet territorialement compétent. Il peut toujours, pour une raison ou une autre, bloquer l’exécution d’un projet de développement.
Bref, pour dire simplement, ce sont les préfets, dans la structuration actuelle, qui sont les véritables patrons des mairies au Cameroun. Selon cette même loi de 2004 fixant les règles applicables aux communes, en son article 35 : alinéa 1 « lors des réunions où le compte administratif du maire est débattu, le conseil municipal élit le président de séance. Dans ce cas, le maire peut assister à la discussion mais doit se retirer en cas de vote. » Alinéa 2, « le président de séance adresse directement la délibération au représentant de l’Etat. » On se serait attendu à minima, au sortir du dialogue national, que ce pouvoir soit tout au moins allégé dans les deux régions en crise. A la place, le président de la république a plutôt nommé trois jours après ce dialogue, le 7 octobre 2019, de nouveaux préfets dans les départements du pays, y compris dans ceux des deux régions, renforçant ainsi le pouvoir de l’Etat central sur les communes de ces régions.
Dire une chose en faisant une autre
La convocation du corps électoral le 10 novembre 2019, ainsi que les déclarations faites le 12 novembre à Paris par le chef de l’Etat sonnent dès lors faux quand on les met en rapport avec le statut spécial dont il parle. Parce que le président de la république ne peut pas être en train de penser à un statut spécial, et renforcer en même temps la tutelle de l’Etat sur les communes, il ne peut pas avoir à cœur de traiter différemment ces deux régions et accepter que les élections locales s’y tiennent dans des conditions actuelles, où d’après les chiffres des nations Unis, 35 000 habitants sont réfugiés au Nigéria et 500 000 déplacées à l’intérieur du pays.
Qui sérieusement va être candidats à ces élections dans ces deux régions, qui va le voter. Si dans les médias rien n’est dit, ou pas grand-chose concernant les investitures dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, c’est simplement parce que rien ne s’y passe au fond, c’est la preuve que ces deux régions n’avaient pas attendu le grand dialogue national pour acquérir un statut spécial, ils l’ont depuis la période coloniale comme l’a reconnu le président Paul Biya lui-même récemment en parole. Il ne tient qu’à lui de le reconnaitre dans les actes en évitant au pays une autre honte d’une mascarade d’élections, dans des arrondissements où ils ne restent plus que des arbres, pour accueillir les nouveaux sous-préfets
Roland TSAPI