Les discussions en cours à Yaoundé vont aboutir à des résolutions, mais rien de prévu pour la mise en œuvre

Le dialogue national entamé le 30 septembre 2019 et consacré en priorité à la crise anglophone rentre progressivement en gare. Les commissions devront définitivement rendre leurs copies  le 04 octobre, ce qui donnera lieu à l’adoption en plénière et la lecture des résolutions finales. Chaque participant aura alors le sentiment du devoir accompli, puisque le mandat  prend fin le même jour. Mais une fois la copie rendue, que deviendra-t-elle ? L’un des préalables soulevés par la société civile camerounaise et certains partis politiques  pour un dialogue réussi,  était la mise sur pied d’un comité de suivi des résolutions, avec pouvoir de contrainte. Il s’agissait en effet de s’assurer que les résolutions qui seront adoptées ne rentrent pas dans les tiroirs.

Parmi les commissions finalement retenues, ne figuraient pas celle chargée de la mise en application des résolutions. Ce qui veut dire simplement que le colis retournera pour livraison au président de la république, celui qui a commandé le dialogue. Que va-t-il en faire ? Il suffit de regarder dans son discours d’annonce du dialogue le 10 septembre 2019 pour se faire une idée : « C’est pourquoi, j’ai décidé de convoquer, dès la fin du mois en cours, un grand dialogue national qui nous permettra, dans le cadre de notre Constitution, d’examiner les voies et moyens de répondre aux aspirations profondes des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, mais aussi de toutes les autres composantes de notre Nation » dit-il.

Possibilités limités

Ce qu’il y a à souligner ici, c’est l’expression « dans le cadre de la Constitution ». Autrement dit toutes les résolutions à prendre devront rester dans les limites des interdits ou des permis de la Constitution, tout ce qui pourra se dire en dehors ne le concerne pas. En clair le dialogue était vicié d’avance, et encarté dans les contours d’une Constitution qui n’est pas déjà appliquée, ou qui est modifiée en fonction des intérêts du moment. Le système éducatif, le système judiciaire, la décentralisation et le développement local qui constituaient les sujets de réflexion, ne pourront connaitre aucune évolution substantielle dans leur organisation et fonctionnement que ce qui est déjà prévu par la loi suprême. Au regard des thèmes inscrits donc à l’ordre du jour du dialogue, autant dire qu’il fallait simplement se référer à la Constitution, veiller à ce qu’elle soit méticuleusement mise en application pour que la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest soit résolue.

Au-delà de la Constitution

Ce qui est erroné, puisque les revendications des ressortissants de ces régions vont désormais au-delà de la stricte application des dispositions de la Constitution.  Ils demandent par contre le retour à la Constitution de 1961, c’est dire que celle en vigueur actuellement doit être purement et simplement mise de côté. Le dialogue national, dans sa conception n’est autre chose que le forum qui a été appelé dans certains pays  conférence nationale, même si le pouvoir évite ce mot comme de la peste.  Un forum qui a pour vocation de résorber une crise et poser de nouvelles bases pour la société, lesquelles ont souvent été la transition démocratique.

Dans son ouvrage intitulé Les Conférences Nationales: une affaire à suivre publié en 2009, Fabien Eboussi Boulaga, philosophe et auteur camerounais explique : « Ce que nous nommons crise est en réalité un discrédit institutionnel. Seule une fondation de la liberté pourra y remédier. » En d’autres termes, Les crises qui précèdent les conférences nationales ou les dialogues nationaux  se sont produites à cause de la méfiance envers les institutions, dont la Constitution est le garde-fou. Ce qui veut dire que le déclenchement d’une crise est en réalité la remise en cause fondamentale de la Constitution.

Les institutions entre parenthèses dans un dialogue

Dans certains pays où l’on a eu à faire recours au dialogue national pour résoudre un problème, la Constitution a toujours été mise entre parenthèse au profit des résolutions de la rencontre. Quelques exemples : du 19 au 28 février 1990 soit pendant 9 jours, a lieu la conférence Nationale au  Bénin. Les délégués déclarent la souveraineté de la conférence, dissolvent l’Assemblée Nationale, destituent le Président Kérékou, et élisent Nicéphore Soglo Premier ministre du gouvernement de transition. Ils préparent par la suite les premières élections multipartistes depuis l’indépendance.

Du 1er mars au  19 avril 1990 soit 50 jours, le président  gabonais Omar Bongo organise une conférence nationale, suivant le modèle du Bénin. Il introduit le multipartisme en avril, mais la conférence ne devient pas souveraine, Bongo la contrôle et reste au pouvoir à l’issue de l’élection présidentielle d’octobre 1990. Du 25 février au 10 juin 1991 soit trois mois, c’est la conférence Nationale au Congo. Les délégués déclarent la souveraineté de la conférence et destituent le Président Denis Sassou-Nguesso. Ils choisissent André Milongo comme Premier ministre du gouvernement de transition, et préparent les élections multipartites.

En Août, 1991, le Mali tient sa conférence Nationale. Soumana Sacko, devient Premier ministre par intérim pendant que les délégués organisent une assemblée constituante où ils adoptent une nouvelle Constitution, un code des élections et une charte pour les partis politiques. Les élections sont prévues pour février 1992. Du 8 juillet au 28 août, 1991 soit 60 jours, c’est le tour du Togo d’organiser sa conférence nationale. Le Président général Eyadema, accepte la rédaction d’une nouvelle Constitution et permet des élections présidentielles multipartistes en juin 1992. Joseph Kokou Koffigoh est élu Premier ministre par intérim et prend la plupart des pouvoirs de Eyadema.

Du 29 juillet au mois de novembre 1991, pendant plus de trois mois, c’est la conférence Nationale du Niger. Les délégués déclarent la souveraineté de la conférence et prennent le pouvoir du Général Ali Saibou lui laissant ses fonctions honorifiques de président. Ils suspendent la Constitution et l’Assemblée Nationale, et fixent des élections présidentielles pour 1993. Cheiffou Amadou, est élu Premier ministre par intérim.

En république démocratique du Congo, ex Zaïre, c’est sera toute autre chose. Pendant deux ans on ne parle que de conférence nationale, ou dialogue national. Commencée le 7 août 1991, le forum est suspendu  à la suite des plaintes de l’opposition selon lesquelles  Mobutu contrôle la procédure. Il  reprend le 12 décembre 1991. L’archevêque Monsengo Pasinya est élu président de la conférence. De nouveau Mobutu, sentant ses pouvoirs menacés, suspend la conférence jusqu’à avril 1992, mais elle recommence sous la pression des pays donateurs et du Vatican. Elle  se déclare souveraine, conserve Mobutu à la tête de l’État pendant la période de transition, et élit Étienne Tshisekedi Premier ministre. Mobutu continue à enfreindre les décisions de la conférence, et le 17 mars 1993 il nomme Faustin Birindwa Premier ministre.

Au Tchad, du 15 janvier  à mars 1993, soit 45 jours on tient la conférence Nationale,  après la signature par le Président Déby d’un contrat cédant la gestion de la politique économique et fiscale aux conseilleurs français. La conférence se déclare sa souveraineté, mais Déby se maintient au pouvoir. Quant Au Cameroun le président Paul Biya avait dit que la conférence nationale est sans objet. On a eu droit plutôt à la tripartite de 1992, à l’issue de laquelle le pays s’est enlisé davantage. En 2019 on a le grand dialogue national, et comme tout doit rester dans le cadre de la Constitution, il  est à craindre qu’il soit aussi… sans objet

Roland TSAPI