Le 9 août 2019, le Ministre camerounais de l’administration territoriale a donné un point de presse dans les services du gouverneur de la Région du Littoral à Douala.
Dans ses propos, le ton utilisé laisse penser à des menaces proférées à la presse lorsqu’il s’exprimait en ces termes :
«Je demande une fois de plus aux responsables de ces chaînes de télévision qui organisent sciemment, je dis bien sciemment, ces débats qui ont pour but de saper l’action gouvernementale, saper le moral des forces de défense et de sécurité, et de porter un coup à ce projet des grandes opportunités du chef de l’Etat, de rectifier le tir avant qu’il ne soit tard.
Je vous dis une fois de plus pour ceux qui ont l’habitude d’animer ces débats chaque semaine. Parce que ce sont des débats à dessein et nous savons pour quel but ces débats sont organisés. Je vous dis en vous regardant dans les yeux. J’ai lu les rapports des autorités administratives qui ont régulièrement attiré notre attention sur ces débats qui sont des débats extrêmement dangereux (…)
Je cite les mots du président Paul Biya qui a dit que dans l’œuvre de construction nationale personne n’est exclu et personne ne doit s’exclure. Nous devons accompagner le président dans cette tâche. Celui qui fait le contraire, en tout cas, il sait là où il va se retrouver. »
Le ministre, nous pouvons désormais le dire, a stigmatisé à la Société civile avec les propos suivants :
« Les autorités administratives m’ont signalé certaines Organisations non gouvernementales qui depuis un certain temps brillent par un comportement irresponsable. Les dirigeants de ces Ong-là occupent les espaces médiatiques. J’ai demandé au gouverneur, aux autorités administratives de veiller à ce que ces états de comportement ne soient plus acceptés »
Les Organisations de la Société Civile signataires notent avec indignation :
- Que cette sortie est une énième incitation à la révolte et au soulèvement populaire par le Ministre de l’Administration Territoriale.
- Que des menaces à l’endroit des journalistes et des médias dans l’exercice de leurs missions dans un système constitutionnel de démocratie pluraliste participe d’un complot ourdi dans le dessein inavoué de faire reculer la démocratie camerounaise car, la déontologie journalistique prescrit le principe du contradictoire dans le traitement de l’information, ce qui impose la présence d’une diversité de sensibilités et de points de vue sur les plateaux et antennes consacrés aux débats de société aussi bien politiques que socio-économiques ou culturels.
La constitution du Cameroun qui dans son préambule consacre clairement la liberté de communication, la liberté d’expression, la liberté de presse, la liberté de réunion, la liberté d’association, la liberté syndicale et le droit de grève. Ces droits civils et politiques sont garantis dans les conditions fixées par la loi.
La Déclaration Universelle des Droits de l’homme qui, en son Article 19 énonce que « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
Le Pacte international des droits civils et politiques dont l’Article 19 alinéa 1 dispose que « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions ».
La Charte Africaine des droits de l’Homme et des Peuples qui indique à l’Article 2 que « Toute personne a droit a la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis par la présente charte sans distinction aucune, notamment de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »
Aussi, l’Union Africaine, consciente du rôle des médias dans la construction de la démocratie, a-t- elle adopté la Déclaration de Principes sur la Liberté d’Expression en Afrique qui stipule clairement :
(i) Sur la liberté d’expression :
1. Aucun individu ne doit faire l’objet d’une ingérence arbitraire à sa liberté d’expression.
2. Toute restriction à la liberté d’expression doit être imposée par la loi, servir un objectif légitime et être nécessaire dans une société démocratique.
(ii) Sur la protection de la réputation :
1. Les Etats doivent s’assurer que leurs lois relatives à la diffamation sont conformes aux critères ci-après : nul ne doit être puni pour des déclarations exactes, des opinions ou des déclarations concernant des personnalités très connues qu’il était raisonnable de faire dans les circonstances ; les personnalités publiques doivent tolérer beaucoup plus de critiques ; et les sanctions ne doivent jamais être sévères au point d’entraver l’exercice du droit à la liberté d’expression, y compris par les autres. »
Par ailleurs, La charte de Munich dont dérivent les codes de déontologie des journalistes en vigueur au Cameroun rappelle dans son préambule que :
« Le droit à l’information, à la libre expression et à la critique est une des libertés fondamentales de tout être humain.
Ce droit du public de connaître les faits et les opinions procède de l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes.
La responsabilité des journalistes vis-à-vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics. »
Au total, le ministre de l’Administration Territoriale par ces propos menaçants à l’endroit de la société civile et ses leaders, dénie et balaie d’un revers de la main les fonctions reconnues à la Société Civile dans la Vision 2035 dont le chapitre III.5.3 relativement au Partenariat avec la Société Civile la présente comme « (iii) creuset de participation et de mobilisation sociale pour l’intégration des forces productives et la démocratisation dans un contexte de décentralisation; (iv) activité de veille pour la défense des droits en général, et notamment ceux des travailleurs, des femmes, des enfants, des minorités, etc. et pour l’élargissement du processus de démocratisation. »
Nous, soussignés, Représentants des Organisations de la Société Civile :
Attirons l’attention du Chef de l’État, garant du respect des institutions et de la protection des citoyens en général, et des leaders d’opinion en particulier, sur les dérives langagières de certains de ses collaborateurs qui non seulement contribuent à ternir l’image de notre pays, mais constituent plus que jamais une véritable menace à l’ordre public.
Soulignons que des journalistes, des leaders associatifs et leurs organisations ont déjà subi des actions (arrestation, cambriolage des locaux entre autres) attribuables à des personnes non favorables à leurs activités ;
Demandons au gouvernement camerounais en général, et au ministre de l’Administration Territoriale en particulier de :
(i) Faire preuve d’un minimum de respect des dispositions de la Constitution, des Traités et Accords internationaux dument ratifiés par le Cameroun.
- (ii) Se rappeler qu’il est au service du peuple souverain et par conséquent s’abstenir de proférer des menaces à l’endroit non seulement de celui-ci, mais également des professionnels des médias et des acteurs associatifs
- (iii) Accorder un minimum de respect aux Organisations de la Société Civile, qui se battent pour la construction d’une société démocratique basée sur le respect des valeurs humaines, champ d’action qui ne les mettent pas toujours en accord avec les points de vue du gouvernement, mais qui ne fait pour autant pas d’elles des irresponsables.
Appelons enfin le Président de la République à rappeler ses collaborateurs à l’ordre, particulièrement son Ministre de l’Administration Territoriale afin qu’ils évitent dorénavant, chacun en ce qui le concerne, de provoquer des mécontentements au sein des différents corps sociaux, dans un contexte où, du fait des crises sécuritaires et politiques, le climat social et politique est totalement délétère.
Fait à Douala le 13 août 2019
Ont signé :
Philipe NANGA, Coordonnateur de l’ONG Un Monde Avenir
BIKOKO Jean Marc, Point Focal National de Dynamique Citoyenne
MBASSI ONDOA Thobie, Contrôleur Financier Centrale Syndicale du Secteur Public
Charlie TCHIKANDA, Directeur Exécutif de la Ligue des Droits et Libertés