Le 14ème sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), s’est tenue le 24 mars dernier, à N’Djamena, la capitale tchadienne. Parmi les conclusions de ce sommet, la Conférence des Chefs d’Etat a adopté la Politique Commune d’Émigration, d’Immigration et de Protection des Frontières de la CEMAC, pour ce qui concerne l’état de la mise en œuvre de la libre circulation des personnes en zone CEMAC. D’après le communiqué final, elle a instruit le Président de la Commission de la CEMAC, d’une part, d’accélérer l’application de l’Acte Additionnel portant suppression de visa pour tous les ressortissants de la CEMAC circulant dans l’espace communautaire, et, d’autre part, de mener des actions vigoureuses pour la mise en œuvre de ladite Politique Commune.
La réalité à mille lieux de textes
Pendant qu’on discutait de cette libre circulation, il était impossible de traverser la frontière entre le Cameroun et la Guinée Equatoriale à Kye-Ossi. Le pays d’Obiang Guema Basogo a une fois de plus fermé ses frontières depuis décembre 2018. Ces derniers temps, les mesures sont d’ailleurs plus durcies, car d’après les témoignages, les exceptions faites auparavant les mercredis pour permettre aux populations de se ravitailler ont été supprimées, même les autorités n’ont plus le privilège de traverser. A l’intérieur du territoire guinéen, les Camerounais continuent de jouer au chat et à la souris avec les forces de l’ordre, ils sont obligés de raser les murs et marcher en se retournant, car les opérations d’arrestation restent permanentes et sont menées avec des méthodes plus barbares que celles appliquées pour bétail. D’après des témoignages recueillis par l’organisation non gouvernementale Un Monde Avenir dans le cadre du programme AMIR, sous-entendu Appui aux migrants et à l’intégration sous régionale Ceeac, les Camerounais continuent d’être interpelés en Guinée équatoriale, transportés dans des camions bennes et versés sur les bordures camerounaises comme des ordures ménagères dans une fosse.
Une panoplie de décisions et d’actes sans effet
Pourtant, depuis l’année 2002, la décision 01/Ceeac/Cceg/X/02 prise par la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale stipulait qu’à compter du 1er janvier 2003, la circulation était libre à l’intérieur de ses Etats membres pour les touristes, professionnels, élèves, étudiants, chercheurs enseignants. Mais à cette date, aucun Etat n’a daigné appliquer cette décision, les frontières sont restées hermétiquement fermées aux ressortissants des pays voisins. Les transporteurs traversant les territoires des autres pays ont continué de payer les droits inexpliqués du simple fait qu’ils n’étaient pas natifs.
En 2005, un acte additionnel fut signé par la Communauté des Etats de l’Afrique centrale, relatif à la libre circulation des personnes dans la zone. Rien n’y fait. Trois ans plus tard, le 20 juin 2008, une décision de l’Union des Etats de l’Afrique centrale fut signé le 20 juin, portant liste des personnes admises à titre transitoire à circuler sans visa en zone Cemac. Une autre décision qui sera classée dans les tiroirs. Le 16 mars 2010, ce fut le tour du règlement numéro 01/08-Ueac-042-CM-17 portant institution et conditions de gestion et de délivrance du passeport Cemac. Ce règlement fut suivi d’un acte additionnel signé 3 ans plus tard, le 25 juin 2013 et fixant au 1e janvier 2014 la prise d’effet de la libre circulation des personnes. Décision une fois de plus superbement ignorée à cette date. Quand les chefs d’Etat de la Cemac se retrouvèrent encore à une réunion au sommet le 6 mai 2015 à Libreville, ils signèrent une fois de plus une autre décision portant sur la libre circulation. Toujours sans effet.
Un pas en avant, deux pas en arrière
A partir du mois d’août de cette année 2017, tous les pays de la sous-région, comme pressés par une main extérieure ; signèrent des circulaires pour exiger l’application de cette décision du 06 mai 2015. Le Tchad ouvrit le bal par une note circulaire le 08 août 2017, suivi par la République centrafricaine le 13 octobre, le Gabon le 19 octobre, la République du Congo le 23 octobre, la Guinée Equatoriale le 26 octobre et enfin le Cameroun le 1er novembre. Le contenu de ces circulaires étaient presque le même, les ressortissants des 6 pays de la Cemac détenteurs d’une pièce d’identité en cours de validité, n’étaient plus soumis à des visas d’entrée ou d’autorisation de sortie dans l’un des pays, pour une durée de 90 jours.
Avec ces circulaires, on avait cru que le problème était désormais réglé, mais l’illusion dura juste un mois. Dès le mois de décembre de la même année, la Guinée Equatoriale fut encore la première à fermer ses frontières. Le prétexte tout trouvé était l’interception aux frontières avec le Cameroun des cargaisons d’armes et l’arrestation de quelques soldats supposés préparer un coup d’Etat au pays d’Obiang Nguema. La machine se grippa une fois de plus, les refoulements inhumains des ressortissants d’autres pays reprirent de plus belle, surtout en Guinée Équatoriale.
La question de la libre circulation a été une fois de plus remise sur la table dimanche 24 mars 2019, 47 ans après le premier acte qui date du 22 décembre 1972, relatif à la Convention commune sur la libre circulation des personnes et le droit d’établissement dans l’UDEAC. 47 ans que 6 pays d’Afrique centrale n’arrivent pas à s’entendre pour que leurs ressortissants traversent une frontière, alors qu’à côté les 16 pays de l’Afrique de l’Ouest n’ont pas ce genre de problème, alors que les 28 pays de l’Union européenne règlent cette question en 2 heures de temps. De quoi se poser une question simple, qu’est-ce que ces 6 pays de l’Afrique centrale ont de si spécial, pour que leurs frontières soient plus difficiles à traverser que les portes du paradis ?
Roland TSAPI