Impréparation et précipitation sont les caractéristiques du deuil national déclaré pour les sinistrés de Bafoussam, encore que par le passé le Cameroun a connu des sinistres plus importants sans que cela n’émeuve le pouvoir de Yaoundé.

Les 43 victimes du glissement de terrain de Ngouaché dans l’arrondissement de Bafoussam III, survenu dans la nuit du 28 octobre 2019, ont eu droit à un deuil national le 9 novembre 2019, deuil décrété la veille 8 novembre par le président de la République Paul Biya. Une cérémonie d’hommage, programmée une semaine à l’avance, et dont le décret est venu juste en appui, a eu lieu à l’esplanade de la place des fêtes de Bafoussam, présidée  par le premier ministre Dion Gute, qu’accompagnaient un bon nombre de membres du gouvernement.

Promesses non tenues

L’on se souvient qu’au lendemain de la survenance de malheureux évènement, Paul Biya avait annoncé avoir  mis à la disposition des familles endeuillées une somme de 200 millions de francs, dont la moitié devait servir à l’organisation des obsèques et l’autre moitié pour le recasement des rescapés à déguerpir de ce site. Mais deux jours avant les hommages officiels, un reportage effectué par une organisation de soutien dans une famille a Bamendou, dans le département de la Menoua, a montré des victimes encore en attente de l’argent promis par le gouvernemental pour l’organisation de ces obsèques. La grande sœur d’une victime, morte dans l’incident avec ses deux femmes dont l’une enceinte et des enfants, avait faits plusieurs tours à Bafoussam sur rendez-vous pour rentrer en possession de cet argent, mais avait été à chaque fois baladée entre les services du gouverneur et ceux du préfet de la Mifi. D’après les déclarations du ministre de l’Administration territorial Paul Atanga Nji, 50 familles avaient été recensées qui devaient bénéficier des 100 millions, soit la moyenne de 2 millions par famille, sans compter les 25 millions promis à chaud par le ministre de le Décentralisation et du développement local Georges Elanga Obam.

les membres du gouvernement au « deuil »

La famille de Bamendou, s’était ainsi débrouillée pour creuser les tombes nécessaires dans la concession, et ce n’est pas tout. Après la cérémonie d’hommage à Bafoussam, les 36 corbillards requis pour le transport des dépouilles ont refusé de quitter la ville s’ils n’étaient pas payés.

Négligences et impréparations

Ils sont allés  se garer devant la résidence du gouverneur au moment où le Premier ministre et la délégation venus présider la cérémonie s’étaient retirés pour la réception. C’est n’est qu’après négociations que les conducteurs des corbillards ont accepté de prendre une avance de 50 000 francs Cfa sur les 100 000 prévus au départ. Ils devront réclamer le reste après, ainsi que les familles bénéficiaires des 100 millions, qui d’après des sources sur place ont aussi été renvoyées à une date ultérieure pour entrer en possession des sommes promises.

Ainsi, le Premier ministre, représentant personnel du Chef de l’Etat s’est déplacé pour Bafoussam où il devait témoigner de la sympathie de la nation aux sinistrés, accompagné des membres du gouvernement, reçu sur place par les autorités locales, mais sans avoir pris la peine de s’assurer que toutes les formalités avaient été remplies pour un enterrement digne. Les familles n’avaient pas reçu de l’argent promis pour organiser les obsèques, les corbillards n’avaient pas été payés pour transporter les corps, mais les buffets étaient prêts pour les agapes. Quelle image pour un Premier ministre que d’être assis en train de manger, et que l’on vienne lui dire à l’oreille que le corps qu’il est venu enterrer est devant la porte parce que celui qui doit transporter n’a pas reçu son argent.

Deuil national discriminatoire  

Au-delà de cette impréparation qui a précédé la cérémonie de Bafoussam, il y a lieu de se demander ce qui a obligé le gouvernement cette fois à montrer tant de sollicitude pour les morts de Ngouache, au point de déclarer un deuil national. Ce d’autant plus que par le passé, dans des circonstances sinon pareilles, du moins pires, le gouvernement est resté indifférent et froid.

14 février 1998, un jour après la date anniversaire de Paul Biya : plus de 200 morts à Nsam Efoulan suite à une catastrophe causée par le déraillement d’un train transportant des cuves de carburant. Pas de deuil national, une enquête ouverte pour en connaitre les causes n’a jamais livré ses conclusions, en tout cas pas publiquement. 5 mai 2007, un avion de la Kenyan Airways quitte l’aéroport de   Douala et disparait des écrans radar 5 minutes après. Un chasseur retrouve les débris quelques jours plus tard à Mbanga Pongo. 114 morts donc 37 Camerounais, il n y a pas eu de deuil national.

16 juillet 2017, 37 militaires sont emportés au large de Bakassi suite au naufrage du navire qui les transportait, trois seulement seront secourus d’après le communiqué du ministre de la Défense Joseph Beti Assomo, 34 autres disparaitrons définitivement. Là aussi, la Nation s’est contentée de l’annonce de l’ouverture d’une enquête, pas de mise en berne du drapeau national, pour ceux-là même qui justement étaient au front pour le défendre. Que dire de près de 7000 morts que la nébuleuse  Boko Haram a entrainé dans le Septentrion, de plus de 2000 morts de la crise dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest ?

Aucun jour n’a encore été retenu depuis 2014 pour rendre hommage aux victimes du Boko Haram, ni depuis 2017 pour celles de la crise anglophone. Le dernier cas qui a permis à  la Nation d’avoir  droit à une compassion initiée par le gouvernement, c’était le 24 octobre 2016, suite au drame d’Eseka le 21 octobre, qui avait fait 80 morts et des disparus, en plus des 551 blessés.

Une vie en valant une autre, pourquoi des hommages de la nation pour les morts de Bafoussam et pas pour ceux de Maroua, Garoua, Bambili, Ndop, Kumbo, Mutenguene, Bakassi, et ceux qui continuent par ailleurs de tomber ? Le pouvoir de Yaoundé, après ces agissements,  va feindre d’être surpris qu’il y a des Camerounais qui se plaignent d’être marginalisés, délaissés, mis à part, et y trouver des mains ennemies qui veulent déstabiliser le Cameroun. Alors que ses actes quotidiens concourent justement à renforcer les clivages et laisser voir au Camerounais que, comme le dit l’artiste ivoirien, les moutons marchent ensemble… mais n’ont pas le même prix.

Roland TSAPI