Malgré des menaces et des conditions de sécurité de plus en plus dégradées dans les deux régions en crise, le parti de John Fru Ndi s’obstine à participer aux élections, comme pour remplir un contrat

Depuis le 7 janvier 2020, l’on a appris que dans la région du Nord-Ouest Cameroun, les candidats investis par le Social Democratic front de John Fru Ndi aux élections municipales  dans l’arrondissement de Ndu, département de la Donga Mantung, ont écrit une correspondance adressée au président régional du parti avec ampliation au bureau national. « Nous, membres de la circonscription électorale de Ndu, déclarons notre non-participation à quelque processus électoral que ce soit, jusqu’à ce que la paix soit restaurée dans notre communauté en particulier et dans le Nord-Ouest et Sud-Ouest en général  », disent-il. Le 8 janvier, on a également appris que cinq membres du même parti, dont le responsable communal à Tubah dans le département de la Mezam, région du  Nord-Ouest toujours, étaient entre les mains des séparatistes. Ils auraient été kidnappés la veille alors qu’ils s’étaient retrouvés pour une réunion préparatoire aux élections du 9 février 2020. Une vidéo diffusée dans les réseaux sociaux les montrait séquestrés par leurs ravisseurs, dont les intentions seraient de les garder jusqu’au lendemain du double scrutin.

Une menace qui perdure

Plus loin en arrière, le 8 décembre 2019, le vice-président du parti Osih Josuah, affirmait au cours d’une émission télévisée  que 44 militants du parti avaient été kidnappés pour la simple raison qu’ils étaient des candidats à cette élection du 9 février 2020. Durant tout ce mois de décembre 2019, la tension n’a cessé de monter pour les candidats à ces élections,  tout parti confondu, dans les deux régions en crise, au point où en date du 27 décembre 2019, le district électoral Sdf de Bafut, toujours dans la région du Nord-Ouest, département de la Mezam, avait écrit à la hiérarchie du parti, avec ampliation à Elections Cameroun, pour l’informer qu’aucun candidat investi par le parti aux élections législatives et municipales ne prendra part à cette élection. Le même jour Esibong Gilbert Apong, ex-président de la section du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), dans la Meme 1 C Tekene, a adressé à la hiérarchie du parti au pouvoir une lettre pour indiquer qu’il ne veut voir sous  aucun prétexte, son nom figurer dans la liste des candidats.

Le Sdf dos au mur

En somme, à ce jour, il est évident que les candidats aux élections locales de février 2020 sont devenus dans les deux régions en crise des cibles privilégiées des séparatistes, qui veulent tout mettre en œuvre pour empêcher le double scrutin d’avoir lieu. Une situation qui interpelle désormais les partis politiques. Si le Rdpc au pouvoir a tout intérêt à ce que les élections se tiennent pour prouver que le pays fonctionne bien, la démocratie avec, le Sdf quant à lui se retrouve dos au mur. Jean Robert Wafo, le ministre de la Communication du Shadow cabinet explique dans les médias que ces désistements et retraits de candidatures de leurs militants sont faits sous la menace des sécessionnistes, preuve qu’il y a de l’insécurité dans la zone. Mais ça, tout le monde le savait, y compris la plus haute hiérarchie de ce parti, le chairman Ni John Fru Ndi lui-même ayant été kidnappée deux fois de suite.

Alors, pourquoi le parti s’obstine-t-il à aller aux élections, qui s’apparentent désormais comme un moyen d’envoyer ses militants à la potence ? Les militants du parti qui désistent aujourd’hui, le font par instinct de survie, obligés de se protéger eux-mêmes contre une menace pourtant bien connue du parti. D’ailleurs, dans leur lettre de désistement du 27 décembre 2019, les militants du district de Bafut ont pris la peine de rappeler à la mémoire des responsables du parti les résolutions du Comité exécutif national prises à Douala en septembre 2019, disant que le parti ne participera à aucun processus électoral dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest jusqu’au retour de la paix, la résolution  d’octobre 2019 du même Comité à Yaoundé, suivie d’une conférence de presse du 1er vice-président, réitérant clairement que les élections ne peuvent avoir lieu de manière effective dans ces deux régions dans des conditions actuelles.

Des militants agneaux du sacrifice…  

Les mêmes responsables du parti reconnaissent aujourd’hui que la situation s’est empirée, mais insistent pour aller aux élections, appelant plutôt le pouvoir à garantir la sécurité des populations pour qu’elles aillent au vote. Mais les militants de ces deux régions perçoivent désormais un double jeu du parti, ils ont compris qu’ils sont abandonnés à eux même désormais, d’où la débandade observée en ce moment. Tout laisse penser que ces militants sont désormais les agneaux du sacrifice. En effet, tous les responsables du parti qui défendent  la participation aux élections sont tranquillement assis à Douala ou à Yaoundé, où ils guettent des postent électifs, sans aucune pensée pour ces militants abandonnés dans le chaudron en zone anglophone.

Il n’échappe pourtant à personne, et de l’aveu même des dirigeants du parti, que les militants ciblés sont ceux dont les noms figurent dans les listes. Il n’a également échappé à personne, que pour ces élections, le parti n’a pas laissé la possibilité aux candidats de se prononcer, il a décidé de reconduire les anciennes listes des élections locales de 2013. Et comme beaucoup de militants se sont senti déçus et trahis du fait que la hiérarchie n’aie pas tenue compte de la situation d’insécurité et a décidé d’aller aux élections, ils ont décidé de se retirer dès les premières heures de l’ouverture des listes, c’est le cas des députés Cyprian Baya et Eric Mbah qui depuis mi-novembre 2019 ont demandé que leurs noms soit retirés des listes.

…de quel autel ?

En tout état de cause, le Sdf se trouve aujourd’hui face à lui-même, et face à ses responsabilités. Son obstination à aller aux élections dans des conditions de sécurité que le parti lui-même dénonce  comme dégradées laisse songeur, pour une formation qui avait placé l’intérêt du peuple au centre de ses préoccupations à la naissance. Et on a vu ce parti boycotter les élections locales en 1992 pour une simple histoire de code électoral jugé mauvais, mais qui 28 ans plus tard, s’apprête  participer aux mêmes élections non seulement avec le même code électoral, mais avec en prime des vies humaines menacées. De là à se demander à qui profite ces élections.

Roland TSAPI