Démocratie : le Cameroun malade de ses libertés
Le bras de fer entre le gouvernement camerounais et le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun de Maurice Kamto,
soutenus par d’autres partis politique et organisations alliés vient d’être relancé, au sujet des manifestations publiques. Dans une déclaration signée le vendredi 10 mai 2019, Maurice Kamto, Christian Penda Ekoka, Paul Eric Kingue et Albert Dzongang informent les Camerounais que les marches blanches pacifiques reprennent le samedi 1er juin 2019 par une manifestation pacifique à travers diverses localités du pays, préparatoire à ce qu’ils appellent la méga marche pacifique prévue une semaine plus tard, le 08 juin à Yaoundé.
Exit le hold-up électoral
Six motifs justifient ces marches cette fois, allant de la situation politique au contexte social en passant par l’économie. Il s’agira de dire « oui au dialogue inclusif pour la refondation de la Nation et l’adoption consensuelle de la forme de l’Etat, oui à l’audit de la gestion calamiteuse des milliards de la Coupe d’Afrique des nations 2019 finalement retirée au Cameroun, non à la succession de gré à gré au sommet de l’Etat, non au tribalisme d’Etat et toute autre forme de tribalisme, oui aux manifestations publiques pacifiques, non à la répression sauvage des manifestants pacifiques par les services de sécurité ». Les signataires rappellent les dispositions légales qui garantissent la liberté de manifestations, avant d’appeler tous les responsables locaux du Mrc à déposer avant le 17 mai des déclarations de manifestations.
Recul des libertés
Cette nouvelle demande du parti de Maurice Kamto et de ses alliés arrive après une pluie de déclarations et rapports, sur la situation des droits de l’homme et des libertés publiques au Cameroun par les organismes internationaux, suivi d’un ballet diplomatique en début du mois de mai par des émissaires des Nations-Unis et de l’Union européenne, qui dénoncent tous le recul des libertés. Dans l’une de ces déclarations le 18 avril, le parlement européen reprenant une exigence persistante de la société civile camerounaise, dans la Résolution 11 disait être « préoccupé par l’utilisation de la loi antiterroriste de 2014 à mauvais escient, pour limiter les libertés fondamentales », et « appuyait les demandes des experts des Nations unies, qui préconisent une révision de cette loi afin qu’elle ne puisse être utilisée pour restreindre le droit à la liberté d’expression, à la liberté de rassemblement pacifique et à la liberté d’association ».
Des interdictions comme règle non écrite
Quelle va être la réaction du gouvernement cette fois encore ? Jusqu’ici l’on sait que l’interdiction de manifester est la règle. Depuis le 05 avril 2019, alors que d’autres marches blanches avaient été prévues pour le 13 avril, le ministre de l’Administration territoriale Paul Atanga Nji avait instruit à tous les sous-préfets d’interdire ces manifestations chacun dans son territoire de commandement. Et les administrateurs civils à la tête des arrondissements appliquent depuis lors ces instructions avec enthousiasme, se mettant ainsi au-dessus de la Constitution qui garantit quant à elle la liberté de réunion et de manifestation. Les sous -préfets devinent le trouble à l’ordre publique à la lecture du seul nom d’un parti politique autre que le Rdpc qui demande à manifester.
Ils sont devenus fébriles au point où des menaces sont proférées officiellement à toute personne en odeur de sainteté avec le Mrc, à l’exemple de cette lettre adressée à deux chefs supérieurs du département de la Menoua le 24 avril 2019 par le sous-préfet de Fokoue, dont la teneur suit : « à leur majesté les chefs de 3eme degré des villages Bandoun et Ndoundé, il me revient de sources dignes de foi qu’un certain Nkala Lemogo Jean Baptiste connu sous le nom de Molière du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, aurait tenu une réunion clandestine dans vos villages respectifs en date du vendredi 19 avril 2019, en dépit de mes instructions relatives à la présentation à vous de l’autorisation de manifestation publique délivrée par mes soins pour toute personne sollicitant dorénavant des réunions ou manifestations publiques, aussi vous demanderai-je de bien vouloir veiller à l’application stricte de ces instructions, et toute défaillance ou complaisance sera sévèrement sanctionnée .»
De même, par décision numéro 282 du 30 avril 2019, le sous-préfet de l’arrondissement de Douala V dans le département du Wouri arrêtait : « article 1er, est pour compter de la date de signature de la présente décision ordonné la fermeture provisoire pour une durée de 90 jours du foyer culturel Mtieki au quartier Bepanda entre le carrefour Boulangerie de la paix et le lieu-dit Bepanda Mala , pour transformation du foyer culturel en lieu de réunion illégale d’un certain parti politique le dimanche 28 avril 2019 .»
Le même 30 avril 2019, le sous- préfet de l’arrondissement de Bondjock dans le département de la Sanaga Maritime, informait « les populations de son unité administrative et en particulier les responsables des partis politiques, que les activités du Mouvement Onze millions de citoyens sont interdites sur l’ensemble de son territoire de commandement jusqu’à nouvel ordre. » Le communiqué s’achevait par cette menace ouverte « Il rappelle par ailleurs à celles ou ceux qui oseraient outrepasser ces consignes qu’ils seront punis par les sanctions prévues par la réglementation en vigueur. »
Résistance
Ces quelques exemples montrent à suffire que l’opposition est bien bâillonnée, mais les signataires de l’appel à la marche du 1er juin expliquent qu’ils ne sauraient s’accommoder de ce recul des libertés qui ramène le Cameroun à la situation antérieure à 1990, en rappelant qu’organiser une marche n’est en rien illégale, seul l’Etat est résolument lancée dans une logique de piétinement du droit. « Reprendre nos marches pacifiques, c’est donc à la fois défendre une liberté fondamentale qui se décline en liberté d’expression, de réunion et de manifestation et préserver son droit de donner librement son opinion sur la conduite des affaires de la Nation » argumente le Mrc. Après les gages donnés par le président Paul Biya le 3 mai dernier à Michelle Bachelet le haut-commissaire des Nations Unis aux droits de l’Homme de veiller sur les droits de l’homme au Cameroun, les sous-préfets vont-ils revoir leurs positions ? Mais en attendant il est regrettable de constater que le Cameroun est désormais malade, mais alors gravement malade…. de ses libertés fondamental
Roland TSAPI