Une trentaine de personnes, des militants du Mouvement pour la renaissance du Cameroun et du Mouvement démocratique de la conscience nationale, actuellement détenus à la prison de New Bell dans la ville de Douala, se présenteront devant le Tribunal de grande Instance du Wouri ce 19 juin 2019 pour une audience d’habeas corpus. Ils ont été arrêtés le 1er juin 2019 lors des marches blanches du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, et d’abord gardés à la police judiciaire de Douala pendant 10 jours en toute illégalité, alors que des manifestants interpellés dans d’autres villes pour les mêmes raisons avaient été en grande majorité libérés dès le lendemain. Non seulement leur garde à vue n’a pas été expressément autorisée par le Procureur de la république comme l’exige l’article 118 alinéa 3 du Code de procédure pénal, mais elle est allée au-delà de la durée légale prévue par l’article 119 du même Code, qui prévoit à l’alinéa 2 que le délai de garde à vue ne peut excéder 48 heures renouvelables une fois. En outre, l’interpellation et la garde à vue ont eu lieu le 1er juin 2019 qui était un samedi, alors que cet article 119 du Code de procédure pénal précise à l’alinéa 4 que « sauf cas de crime ou de flagrant délit, la mesure de garde à vue ne peut être ordonnée un samedi, dimanche ou jour férié. »

A la recherche des motifs

La particularité dans cette affaire des militants interpelés ce premier juin, c’est que les autorités judiciaires de la ville de Douala ont refusé cette fois de s’en mêler et d’ordonner leur garde à vue, et c’est le préfet du Wouri qui a décidé de leur maintien en détention. Ils en ont eu la certitude quand ils ont été déférés le 11 juin à la prison. C’est là qu’ils ont été informés qu’ils faisaient l’objet d’une garde à vue administrative, quand les autorités pénitentiaires leur faisaient signer les documents d’incarcération sur lesquels les motifs indiqués étaient le grand banditisme. Ce motif étant la seule justification possible d’une garde à vue administrative, les militants en cause ayant constaté que les premières personnes ont signé le document naïvement, ont fait bloc pour opposer leur refus de signer, et ils seront finalement conduits dans la prison sans notification individuelle, comme le prévoit la procédure.

Des cas similaires, on en rencontre encore au quotidien depuis la crise postélectorale née au lendemain du scrutin présidentielle du 7 octobre 2018. Face aux contestations qui ne cessent de se manifester, des centaines de personnes ont été jusqu’ici interpellées et gardés sans véritable fondement légal. Suite aux critiques et interpellations de la presse, de la société civile et de la communauté internationale, les autorités judiciaires sont de plus en plus prudentes et veulent se donner le maximum de garantis avant d’ordonner les mesures de garde à vue.

Abus permanents 

Mais les autorités administratives, sous le prétexte du maintien de l’ordre, se laissent encore aller à des abus par une application orientée des dispositions légales en ordonnant des gardes à vue et des détentions administratives. Dans le décret n° 2008/377 du 12 novembre 2008 fixant les attributions des chefs de circonscriptions administratives et portant organisation et fonctionnement de leurs services, on lit à l’article 40: « (1) Le préfet dispose des forces de police, de la gendarmerie et de l’armée dans les conditions fixées par les textes en vigueur. (2) Il peut en outre, en cas d’atteinte à la sûreté intérieur ou extérieur de l’Etat ou à l’ordre public, accomplir personnellement ou requérir tout agent ou toute autorité compétente d’accomplir tous les actes nécessaires à l’effet de constater les crimes et les délits et d’en livrer les auteurs aux tribunaux, dans les formes et délais impartis par les textes en vigueur. »

L’un des textes en vigueur dont il s’agit est la loi 90-54 du 19 décembre 1990 relative au maintien de l’ordre, qui dit à l’article 2 que les autorités administratives peuvent prendre des mesures de garde à vue d’une durée de 15 jours renouvelable dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme. Mais dans la réalité camerounaise, tout est désormais assimilé au grand banditisme dans la conception de certains administrateurs civil, cela favorisé par le flou entretenu par les différents textes de la république sur les véritables contours de la notion de garde à vue administrative.

Dans une interview accordée à la journaliste Linda Mbiappa en novembre 2015, l’avocate au barreau du Cameroun Clémence Tchamo Mafetgo expliquait que dans le Code de Procédure Pénale, la garde à vue administrative n’est pas réglementée de manière concise et par conséquent elle tombe très souvent sous le joug des dispositions du code de procédure pénale régissant la détention judiciaire, autrement « les détenus administratifs tombent très souvent sous le coup d’une détention arbitraire et illégale. »Un autre avocat, maître Sterling Minou est plus tranché quand il dit s’agissant de la détention administrative « C’est la preuve d’un abus manifeste et d’une violation flagrante des droits des victimes, car, selon le Code de procédure pénale en vigueur depuis 2007, nul ne doit être incarcéré dans une prison sans un mandat de justice. »

D’après ce code à l’article 12, seul le Procureur de la République, le juge d’instruction ou la juridiction de jugement peuvent décerner un mandat de justice, qui entre autres inclus le mandat de détention provisoire. Aucune initiative de ce type n’est donnée aux autorités administratives qui continuent à se référer à la loi du 19 décembre 1990 sur le maintien de l’ordre. Un peu en retard selon Sterling Minou pour qui l’article 746 (1) du nouveau code de procédure pénale a tout tranché en stipulant que « sont abrogées toutes dispositions antérieures contraires à la présente loi. L’article 2 précisant que ledit code est d’application générale sous réserve de certaines dispositions prévues par le Code de Justice Militaire ou des textes particuliers« 

Dans l’esprit, le nouveau code de procédure pénal a été adopté pour humaniser les procédures judiciaires camerounaises, et jusqu’ici certains administrateurs civils semblent oublier que l’un des objectifs visés était de faire de la liberté la règle, la privation de cette liberté ne devant intervenir que dans des cas extrêmes, et pas pour avoir simplement marché dans la rue.

Roland TSAPI