L’Assemblée nationale camerounaise a adopté le 02 juillet 2019, une loi portant création, organisation et fonctionnement de la Commission des Droits de l’homme du Cameroun. Cette loi, adopté sous fond de contestation par les députés du Social Democratic Front qui ont quitté la salle, vient en même enterrer la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés qui existait jusqu’ici, créée depuis 2004. Le gouvernement justifie la réforme de l’ancienne commission par la volonté d‘apporter une réponse positive aux critiques formulées contre l’ancien organe, et surtout de donner une suite favorable aux recommandations contenues dans le rapport d’une mission d’évaluation de cette commission effectuée en 2011 par un expert du Haut-commissariat des Nations Unis aux droits de l’homme, appelée rapport Bamazi.
Quelle opportunité ?
De quoi féliciter ce gouvernement, de savoir qu’il prête une oreille attentive aux critiques et recommandations. Sauf qu’il y a aussi des critiques formulées sur d’autres textes comme la loi portant code électoral qui date de 1992 bien avant, avec des recommandations, qui n’ont jamais retenu l’attention de ce gouvernement. D’où la question réelle de l’opportunité de procéder en ce moment à la reforme de cet organe, alors qu’il y a plus urgent. Les élections locales sont en principe prévues pour bientôt, et cette loi électorale n’a pas été touchée, malgré les recommandations outre de la société civile camerounaise, du Parlement européen dans sa déclaration du 18 avril 2019 sur la situation socio-politique du Cameroun.
Les libertés publiques exclues du champ de la nouvelle Commission
En regardant dans la loi on comprend mieux les motivations derrière l’empressement à restructurer l’organe de protection des droits de l’homme. De Commission nationale des Droit de l’homme et des libertés (CNDHL), il devient Commission des Droits de l’homme du Cameroun ou CDHC. Comme le constate le député Sdf à l’Assemblée nationale Jean Michel Nintcheu, le mot « libertés » disparait de la dénomination de l’organe, excluant ainsi de son champ d’action la protection des libertés publiques, notamment la liberté de manifester. En clair, la répression des manifestants, devenue mode par excellence de gestion des manifestations publiques par le pouvoir, ne devra pas être constatée par cette Commission. La loi lui donne le droit d’accéder certes dans tous les lieux de privations de libertés, mais l’article 10 précise que « les visites effectuées dans les lieux de privation de liberté portent sur les conditions de détention. » Les membres de la Commission pourront ainsi rendre visite à un prisonnier par exemple, lui poser toutes les questions concernant ses conditions de détention, mais bien se garder de poser des questions sur les raisons de sa détention.
Inféodée au pouvoir…
Alors, si une commission de protection des droits de l’homme peut s’intéresser aux conditions de détention, et pas aux conditions de privation de libertés, cela devient suspect dans un pays où les dispositions du code de procédure pénal prévoient que la liberté est la règle et la détention l’exception, mais où des milliers de personnes croupissent en prison sans motifs. D’ailleurs, s’agissant des conditions de détention, nul n’est besoin de créer une Commission pour constater qu’elles violent allègrement les droits élémentaires de l’homme au Cameroun. Les cellules étroites et obscures des commissariats et gendarmeries, celles des prisons prévues pour 5 personnes qui en contiennent 20 au minimum le montrent à suffire.
La nouvelle loi n’apporte pas non plus d’amélioration substantielle sur la composition et le mode de désignation des membres de la Commission. Ces derniers sont nommés par décret du Président de la République pour un mandat de 5 ans renouvelable une fois, sur proposition des administrations, associations et organismes socio-professionnelles auxquelles ils appartiennent. Ils doivent être entre autres, reconnus pour leur intégrité morale, leur honnêteté intellectuelle et ayant des connaissances avérées en matière de droits de l’homme. A quelques critères près, les mêmes qui ont guidé le choix des membres de Elections Cameroun ou du Conseil Constitutionnel par exemple, qui se sont avérés être pour la plupart très proches du pouvoir exécutif et fortement inféodés au parti au pouvoir.
…et sous coupe réglée
Leur indépendance aussi, préconisée par les « Principes de Paris » auxquels le Gouvernement veut s’arrimer, reste fortement compromise quand ils restent nommés par le Président de la République. Cette disposition légale lui réserve la possibilité de décider en dernier ressort de qui fera partie de cette Commission ou pas, car par définition une proposition ne peut pas être contraignante. La proposition d’un membre faite par une administration ou un organisme ne le tient pas effet, et il peut toujours s’abstenir de signer le décret de nomination tant que la ou les têtes du ou des membres proposés ne lui conviennent pas. Ou pire, le pouvoir peut toujours, comme par le passé décider de qui à ses yeux représente un organisme et le nommer dans la Commission.
A l’instar des commissions d’inscriptions sur les listes électorales ou de distributions des cartes, la loi pouvait prévoir que le Président de la république constate par décret la composition de la Commission, laissant le plein pouvoir à chaque organisme de choisir son représentant. Et quand on y ajoute le fait que la nouvelle Commission se contentera, comme celle qu’elle remplace, de rédiger des rapports à adresser au Président de la République et autres institutions, sans pouvoir de contrainte, on se rend bien compte qu’il s’agit en réalité d’une même pièce qui est retournée.
Mais il fallait bien que les députés, qui clôturent leur session dans 5 jours le 9 juillet 2019 précisément, rentrent à la maison en ayant l’impression d’avoir fait quelque chose, même comme entre temps leurs homologues quittent les Etats Unis, traversent sur eux pour aller au chevet des Camerounais qui souffrent dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, pendant qu’ils applaudissent à l’hémicycle et signent les perdiems.
Roland TSAPI