Les performances du système politique camerounais, qui sont loin de satisfaire les populations amènent aujourd’hui à se poser la question de savoir qui l’a conçu et surtout pour quel but. Est-ce un système pensé pour le bien du peuple ou pour son malheur. Il est bien entendu que le système qui gouverne un pays est comme une entreprise avec des segments différents, chacun fonctionnant pour l’atteinte de l’objectif global, supposé être les bonnes conditions de vie pour les populations.
Aux origines de la colonisation
Au sortir de la colonisation, la France a laissé le Cameroun avec un système conçu selon son modèle. L’homme qui a pensé ce système camerounais s’appelait Louis Paul Aujoulat. Dans la revue canadienne des études africaines volume 44, Simon Ken publiait en 2010 un article intitulé Louis Paul Aujoulat, figure controversée de la vie politique camerounaise 1935-1956. D’après l’auteur, « l’évocation de ce nom aujourd’hui suscite diverses controverses, traduisant parfois l’estime mais généralement l’antipathie dans les différentes couches de la population camerounaise. Le docteur Louis-Paul Aujoulat foule le sol camerounais par l’entremise de l’association Ad lucem en 1935. Sous le manteau de la charité chrétienne, il marque sa présence au Cameroun par un humanisme débordant qui lui a valu le sobriquet Aujoulat l’africain. Cette popularité le propulse dans l’arène politique : il est élu député à la première Assemblée constituante de juin 1946. Parlementaire, il se donne corps et âme à tâche d’arrimer le Cameroun à l’Union française et, surtout, à former une élite camerounaise garante des intérêts de la France. C’est ainsi qu’il se mettra en travers des aspirations des nationalistes camerounais. Il tombe en disgrâce en 1956, face à son filleul André-Marie Mbida. Le docteur Aujoulat a laissé au Cameroun les stigmates d’une part de l’homme qui aura combattu avec détermination la conquête d’une indépendance réelle, telle que revendiquée par les nationalistes, et d’autre part de l’architecte de la politique tendant à intégrer et à maintenir le Cameroun sous le joug de la France par le biais d’une indépendance factice. »
L’indépendance étant perçue comme la possibilité pour un peuple de s’administrer lui-même, le colon est ainsi parti en s’assurant qu’il conserve la main mise sur les populations, à travers des lois qui au final recentrent tous les pouvoirs entre les mains d’un seul homme, le président de la République. De cette façon, en prenant soin de désigner par des moyens déguisés ce président de la république, tout en laissant croire à la population qu’elle a voté son dirigeant, il fait semblant de partir pour mieux rester.
Emprise de l’Etat
Le niveau le plus bas où est supposé se pratiquer la démocratie, c’est à l’élection municipales. En les élisant, les populations croient transmettre le pouvoir aux conseillers municipaux, qui devraient ainsi définir les politiques locales pour l’amélioration des conditions de vie. Sauf qu’avec les textes, ce pourvoir est subtilement retiré entre les mains de ces conseillers pour être remis entre les mains d’un seul homme, qui lui est nommé et ne connais généralement pas les préoccupations du peuple, mais ayant pour seule mission de préserver les intérêts de l’Etat central. Comme l’explique souvent le socio politologue Claude Abe, il est simplement aberrant que 61 conseillers par exemple élus dans une commune adoptent une délibération pour satisfaire les populations, mais que cette délibération soit soumise pour validation à un administrateur juste parce qu’il a obtenu une licence et est passé par l’Ecole Nationale de la magistrature, pour être nommé préfet dans le département.
Et comme précisé à l’article 35 du décret 2008/377 du 12 novembre 2008, fixant les attributions des chefs de circonscriptions administratives et portant organisation et fonctionnement de leurs services, le préfet haut fonctionnaire nommé par décret du Président de la République est dépositaire de l’autorité de l’Etat dans le département. Dans ce schéma le vrai détenteur du pouvoir dans une commune c’est le préfet, qui ne s’est jamais présenté à une élection, qui ne peut d’ailleurs être candidat. A travers lui également c’est le président de la république qui l’a nommé et qu’il représente, donc au bout de la chaine c’est le président de la république, aussi éloigné qu’il soit, est le décideur final de quelle délibération peut être appliquée dans une commune.
Le mirage de la décentralisation
Pour donner l’illusion de résoudre ce problème, la décentralisation a été introduite dans la Constitution depuis 1996, mais depuis 23 ans son application reste un processus. Encore que dans la loi portant orientation de la décentralisation promulguée le 22 juillet 2004, l’Etat central reste présent à travers ses représentants comme indiqué à l’article 10 alinéa 1 qui reprécise que l’Etat assure la tutelle sur les collectivités territoriales. Pourtant le concept lui-même est défini à l’article 2 de cette loi comme l’axe fondamental de promotion du développement, de la démocratie et de la bonne gouvernance au niveau local. Il va sans dire que cette prédominance de l’Etat, conçue par les penseurs du système et introduite dans les textes, reste préjudiciable pour ce développement harmonieux préconisé à la base. De là naissent les frustrations de toute sorte, dont certaines ont abouti à ce qui est aujourd’hui appelé la crise anglophone. Toute chose qui fait dire à un observateur de la société, que le système camerounais est pensé pour ne pas fonctionner, et à l’image d’une entreprise conçue pour produire des tomates qui ne peut pas produire du pain, le système politique camerounais est à repenser si c’est le bien-être des populations qui est l’objectif recherché.
Roland TSAPI