Alors que l’opinion attend une stratégie globale de prise d’assaut de l’assemblée nationale par l’opposition, on assiste plutôt à des bas calculs intéressés des candidats dont le but est de se positionner
En perspective aux élections locales prévues pour le 9 février 2020, certains partis politiques de l’opposition envisagent déjà des alliances pour présenter les listes communes notamment pour les législatives. C’est le cas du Parti camerounais pour la réconciliation nationale de Cabral Libii, qui a annoncé depuis le 17 novembre une alliance avec l’Union démocratique du Cameroun d’Adamou Ndam Njoya dans la circonscription du Wouri Centre. Les candidats du Pcrn se présenteront sous la bannière de l’Udc, dans une liste conduite par Sam Baka, a ainsi fait savoir Cabral Libii, tout en remerciant son responsable local à Douala pour le parachèvement de cette entente. On assiste là au rapprochement des partis comme il avait été souhaité en vain lors de l’élection présidentielle d’octobre 2018.
Mélange contre nature ?
D’après l’article 151 alinéa 2 du code électoral, « chaque parti politique existant légalement, et désireux de prendre part à l’élection dans une circonscription, présente une liste complète comportant autant de candidats choisis parmi ses membres qu’il y a des sièges à pourvoir. » C’est direque les candidats d’une liste doivent dans l’esprit de la loi appartenir au même parti politique. Il est vrai que Elections Cameroun, qui reçoit les listes, n’ira pas jusqu’à demander aux candidats de prouver leur appartenance à un parti politique qui les ont investis, mais des interrogations subsistent qui rendent douteuse la réelle intention des partis politique de faire bloc.
Il aurait été plus simple que les deux partis annoncent qu’ils ont eu une entente pour que les militants de l’un soutiennent la liste présentée par l’autre, ce qu’on appelle les consignes de vote. Dans ce cas de figure, l’Udc ou le Pcrn constitue sa liste avec ses militants, et l’autre parti demande à ses partisans de la considérer comme la sienne et lui donner ses voix. Mais telle que présentée, la liste de candidature comportera les candidats militants des deux partis à la fois, mais c’est l’Udc qui va signer l’attestation d’investiture. Le premier souci ici c’est la représentation sur cette liste, qui doit avoir trois candidats. Lequel aura deux candidats, et pourquoi ?
Déchirement en perspective
Le deuxième souci est celui de la représentativité politique à l’Assemblée nationale. Au cas où une liste pareille passait, les députés représenteront quel parti, et au cas où un seul candidat de liste passait, celui de l’Udc par exemple, que deviendra l’alliance ? Le député parlera à l’Assemblée au nom de son parti ou au nom des deux ? Viendra-t-il partager le salaire de parlementaire Udc avec les autres candidats du Pcrn dont les militants ont soutenu la liste pour lui donner le pourcentage qui l’a propulsé à l’assemblée nationale ? Et pourquoi l’alliance ne tient que pour le Wouri Centre ? Qu’en est-il des autres circonscriptions dans le Wouri, dans la Sanaga maritime, dans le Noun et sur le territoire national ? Ces questionnements démontrent également l’incapacité des formations politiques à s’organiser.
Absence de stratégie
Les populations camerounaises attendent désormais une stratégie globale des partis de l’opposition, une vision nationale qui lui permettrait de gagner le maximum de sièges à l’Assemblée nationale et impulser les reformes déclencheurs d’une société véritablement démocratique. Dans cette optique, les présidents des partis politiques devaient à ce jour avoir fait des annonces fortes sur les alliances permettant de présenter des candidats sur l’étendue du territoire, ce qui permettrait d’éviter que les voix ne se dispersent. Mais au lieu de cela on assiste une fois de plus à des calculs personnels, chaque candidat semble négocier son positionnement dans sa zone d’influence et informer juste le président national du parti des accords qu’il a obtenu pour avoir son onction. Et l’intérêt du peuple la, dedans ? Difficile à l’identifier. Les candidats veulent juste s’appuyer sur leurs dos et parvenir au sommet, en rang dispersé au besoin. Les dépôts de candidatures seront clos le 25 novembre 2019. A 6 jours de cette date butoir, quelle est la stratégie globale des partis de l’opposition toute tendance confondue ?
Batailler pour le grand nombre
L’Assemblée nationale compte 180 députés. Pour avoir la majorité absolue il faut 91 députés ou plus pour se donner une marge de sécurité qui permettrait d’éviter le mauvais jeu des sous-marins. Quel est l’objectif global de l’opposition à ce jour pour avoir ce nombre, et quels objectifs spécifiques ont été attribués à des partis disséminés sur le territoire pour un quadrillage gagnant ? Et qu’est ce qui est fait concrètement sur le terrain ? Il faut dire que rien n’est perceptible pour le moment, il faut dire aussi que face à cette opposition, le pouvoir en place n’entend pas lâcher du lest. Ses militants entendent s’accrocher avec dents et ongles aux sièges qu’ils occupent, et travaillent aussi à la fidélisation des partis alliés, qui comptent eux également, rester à des postes qu’ils occupent en ce moment.
Pour mémoire, en 1992, le parti au pouvoir n’avait obtenu que 88 sièges à l’Assemblée nationale à l’issue des premières élections législatives multipartites. L’opposition étaient bien partie, si elle était resté soudée, pour prendre l’assemblée nationale et influencer les politiques publiques. Mais Dakole Daïssala, dont le parti le Mouvement pour la défense de la république (Mdr) basé dans la région de l’Extrême Nord avait eu six députés, se rallia au Rdpc contre un poste de ministre des postes et télécommunications, oubliant toute l’humiliation qu’il avait subi dans les geôles après le putsch manqué du 6 avril 1984, oubliant les enfants de sa région qui avaient fondé ses espoirs sur lui, et surtout fragilisant l’opposition parlementaire dont le Rdpc n’en fit plus qu’une bouchée. Aujourd’hui il est oublié, les enfants de l’Extrême Nord sont encore assis au sol sous les arbres pour apprendre à lire et à écrire, d’autres se sont fait enrôler par la nébuleuse Boko Haram faute d’éducation et de moyens de survie.
Là c’est l’histoire, qui risque de se répéter si l’on n’y prend garde. A l’allure où les choses vont, il ne sera pas étonnant que certains partis politiques ne soient dans ces législatives que pour chercher quelques sièges, qu’ils utiliseront comme des jokers le moment venu pour se positionner et oublier le reste.
Roland TSAPI