Excellence Monsieur le Président,
Le 13 Juin 2018, vous avez adressé deux courriers à l’Assemblée nationale, portant demande de prorogation des mandats des députés et des conseillers municipaux.
La raison évoquée était énoncée en ces termes: « la tenue en cours de l’année 2018, dans notre pays, des élections présidentielle, législatives et municipales sensiblement aux mêmes périodes, rend difficile leur organisation matérielle, à cause du chevauchement des opérations électorales relatives à ces scrutins.»
Après l’adoption de la loi y relative par le Parlement, vous avez, en date du 11 Juillet 2018, signé le décret numéro 2018/406 du 11 Juillet 2018 portant prorogation de ces mandats.
A l’issue de cette prorogation, l’ONG Un Monde Avenir et ses partenaires associatifs avaient fait une déclaration dans laquelle il avait été relevé :
- Sur la légalité de l’acte : le Président de la République est tout à fait fondé à demander cette prorogation après consultation du président du Conseil constitutionnel et des bureaux de l’Assemblée Nationale et du Sénat, d’après l’article 15 alinéa 4 de la Constitution.
Cependant, l’ONG Un Monde Avenir et ses partenaires associatifs relevaient que le Président de la République parlait de chevauchement des opérations électorales, qui selon lui justifiait la prorogation dudit mandat, alors que l’article 15 alinéa 4 de la Constitution parle de « crise grave ».
Le 10 Avril 2019, après la clôture de la session parlementaire du mois de mars, l’ONG Un Monde Avenir et ses partenaires associatifs ont adressé une lettre ouverte au Parlement pour exprimer leur indignation en ces termes : « Au moment où le pays connait une période de grande crise jamais connue ces 40 dernières années, avec Boko Haram au Nord, les rebelles centrafricains à l’Est et les revendications sociopolitiques transformées en conflit armé dans les régions du Sud-ouest et du Nord-Ouest, une des crise postélectorales les plus aiguës de même que le pays compte les pertes en vies humaines par milliers, plus d’un million de déplacés internes, les parlementaires n’aient pas cru nécessaire d’inscrire toutes ces questions à leur ordre du jour pour tout au moins proposer des pistes de solutions.
Comment ne pas s’offusquer que vous n’ayez pas trouvé urgent de revoir notre arsenal juridique et institutionnel électoral au vu de ladite crise post-électorale qui, sévissant depuis plusieurs mois, est consécutives à la faible confiance des acteurs au système électoral en vigueur ? »
Le 21 Juin 2019, une autre correspondance a été adressée par l’ONG Un Monde Avenir et ses partenaires associatifs au Parlement à l’occasion de l’ouverture de la 2èmeq session parlementaire de l’année. Il était question dans cette correspondance dont copie vous a été envoyée, d’attirer leur attention sur la responsabilité qui leur incombait au regard du contexte actuel de notre pays.
Excellence Monsieur le président,
Le 17 juillet 2019, vous avez une fois encore sollicité par courriers, le parlement pour une nouvelle prorogation des mandats des députés et conseillers municipaux. Les motifs de cette nième prorogation tels que contenus dans votre lettre sont : « Permettre le déroulement, dans la sérénité, de la session parlementaire du mois de novembre, traditionnellement consacrée à l’examen de la loi de finance et d’harmoniser les délais nécessaires à la tenue d’un double scrutin législatif et municipal »
Nos remarques.
L’ONG Un Monde Avenir et ses partenaires associatifs notent avec beaucoup d’attention ce qui suit.
- Le non respect des dispositions constitutionnelles.
Les raisons évoquées pour le 1er et 2éme prorogations ne nous semblent pas alignées sur l’esprit ni la lettre la Constitution du Cameroun notamment son article 15 alinéa 4 qui stipule : « En cas de crise grave ou lorsque les circonstances l’exigent, le Président de la République peut, après consultation du Président du Conseil Constitutionnel et des Bureaux de l’Assemblée Nationale et du Sénat, demander à l’Assemblée Nationale de décider, par une loi, de proroger ou d’abréger son mandat. Dans ce cas, l’élection d’une nouvelle Assemblée a lieu quarante (40) jours au moins et cent vingt (120) jours au plus après l’expiration du délai de prorogation ou d’abrègement de mandat. »
Nous notons également que les raisons justifiant la prorogation de ces élections ne relèvent pas du tout des cas accidentels.
- Le non respect du code électoral
Les lois et décrets relatifs aux prorogations ont été à chaque fois adoptés ou pris après les délais butoirs de convocation du corps électoral.
Mise en évidence de la violation de l’article 86 alinéa 2 du code électoral relatif à la convocation du corps électoral
- Election Législative
- Date butoir de convocation du corps électoral après l’élection législative de septembre 2013 (avant la 1ère prorogation de mandat)
Date butoir de convocation du corps électoral |
Date d’adoption de la loi de prorogation |
Ecart |
21 Juin 2018 Article 86 (2) du code électoral : L’intervalle entre la publication du décret convoquant le corps électoral et la date fixée pour le scrutin est de quatre-vingt dix (90) jours au moins. |
Le 02 Juillet 2018 |
Soit 11 jours de situation irrégulière après la date butoir |
- Élection Municipale
- Date butoir de convocation du corps électoral après l’élection municipale de 2013 (avant la 1ère prorogation de mandat)
Date butoir de convocation du corps électoral |
Date du décret de prorogation |
Ecart |
Le 26 Juin 2018 Article 86 (2) du code électoral : L’intervalle entre la publication du décret convoquant le corps électoral et la date fixée pour le scrutin est de quatre-vingt dix (90) jours au moins. |
Le 11 Juillet 2018 |
Soit 15 jours de situation irrégulière après la date butoir |
b. Date butoir de convocation du corps électoral après la 1ère prorogation de mandat
Date butoir de convocation du corps électoral |
Date du décret de prorogation |
Ecart |
Le 25 Juin 2019 Article 86 (2) du code électoral : L’intervalle entre la publication du décret convoquant le corps électoral et la date fixée pour le scrutin est de quatre-vingt dix (90) jours au moins. |
Le 15 Juillet 2019 |
Soit 20 jours de situation irrégulière après la date butoir |
Nos suggestions.
Excellence Monsieur le président de la république,
Au nom de l’article 2 alinéa 1 de la Constitution qui stipule que : « La souveraineté nationale appartient au peuple camerounais qui l’exerce soit par l’intermédiaire du Président de la République et des membres du Parlement, soit par voie de référendum. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice »,
L’ONG Un Monde Avenir et ses partenaires associatifs recommandent ce qui suit, comme étant des préalables à la tenue d’une élection démocratique :
- Accélérer le processus de dialogue annoncé par le Premier Ministre à l’entame de sa visite dans les régions anglophones le 09 Mai 2019, afin d’obtenir tout au moins un cessez-le-feu et un retour à la vie normale dans les deux régions, afin d’assurer la libre circulation des personnes.
- Trouver les voies et moyens pour garantir la participation électorale des personnes déplacées victimes de la crise dite anglophone et des attaques de Boko Haram, afin de respecter le principe du suffrage universel.
- Libérer les prisonniers du conflit post électoral et de la crise dite anglophone.
- Assurer un cadre juridique et institutionnel qui garantit la transparence et l’équité électorales.
Tout ceci en conformité avec:
L’article 4 alinéa 2 de la CADEG qui stipule que : « Les Etats parties considèrent la participation populaire par le biais du suffrage universel comme un droit inaliénable des peuples.»
L’article 21 alinéa 3 de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme qui dispose que : « La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote »
Article 6 de la CADEG selon lequel: «Les Etats parties s’assurent que les citoyens jouissent effectivement des libertés et droits fondamentaux de l’homme en prenant en compte leur universalité, leur interdépendance et leur indivisibilité.»
Excellence Monsieur le président de la république,
Faisons de nos processus électoraux des occasions de renforcement de la solidarité nationale et non des moments de luttes égoïstes et égocentriques, qui exposent le pays tout entier au déchirement et à la désunion.
Vous l’avez dit vous-même. « Je suis un mendiant de la paix », c’est le moment de vous y soumettre.
Veuillez accepter notre citoyenne et patriotique considération
Fait à Douala le 22 Juillet 2019
Le Coordonnateur
PHILIPPE NANGA