Dans une sortie publique peu habituelle faite le 28 mai 2019, le ministre camerounais des Relations extérieures Lejeune Mbella Mbella s’est révélé

être désormais parmi les portes paroles du gouvernement, rôle dans lequel on avait jusqu’ici connu le ministre de la Communication et celui de l’administration territoriale. La  sortie du Minrex est baptisée « déclaration du gouvernement sur la situation sociopolitique du Cameroun », une sorte de réplique aux déclarations des organisations non gouvernementales nationales et internationales, des institutions et parlement internationaux. Ceci se confirme par les destinataires de la déclaration. Le ministre des relations ne s’adresse pas aux Camerounais, loin de là, ils s’adressent aux chefs de missions diplomatiques et des représentants des organisations internationales accrédités à Yaoundé.

 

La peur d’être porté au Conseil de sécurité

Le contenu de la déclaration, loin d’être innocent, peut également être collé au contexte pour avoir tout son sens. Pour ce qui est du contexte d’abord, le Cameroun a été ces derniers temps la cible des tirs groupés de toutes part, mettant en cause le gouvernement notamment sur les exactions de l’armée dans le Septentrion et dans les régions anglophones en crise, le recul des libertés publiques, le musèlement de l’opposition. Les cris ont été poussé tant et si fort que le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unis s’est saisi du problème.

D’abord dans une discussion informelle au siège de l’institution le 13 mai 2019. Rencontre que le même ministre des relations extérieures avait tenté de banaliser, sans que cela ne change rien aux discussions à l’issue desquelles le Secrétaire général Adjoint de l’organisation a clairement indiqué qu’une intervention humanitaire était urgente au Cameroun. Au lendemain de cette rencontre, le Sous-secrétaire d’Etat américain en charge des questions africaine Tybor Nagy a porté une fois le problème camerounais devant le congrès américain, en insistant sur le fait que la situation dans le pays de Paul Biya restait une préoccupation. Les Etats Unis étant membre de l’Onu avec droit de véto, il est tout à fait probable qu’ils mettent le sujet à l’ordre du jour du prochain Conseil de sécurité en session normale prévue ce 29 mai 2019 et d’où pourront sortir des déclarations sur la situation au Cameroun.

En rappel, le Conseil de sécurité prend l’initiative en déterminant l’existence d’une menace à la paix ou d’un acte d’agression. Il demande aux parties à un différend de le régler par des moyens pacifiques et recommande des méthodes d’adaptation ou des conditions de règlement. Dans certains cas, le Conseil de sécurité peut recourir à des sanctions ou même autoriser le recours à la force pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.Et c’est cela que le Ministre des relations extérieurs essaie d’éviter en voulant rassurer les représentations de ces pays membres de l’Onu et du Conseil de sécurité, que tout va pour le mieux, et que là où il y a problème, le chef de l’Etat a pris des mesures appropriées. Sa sortie juste un jour avant l’entrée en session du Conseil répond dès lors à un timing bien étudié.

Contrevérités

Mais dans le fond, cette sortie est-elle de nature à convaincre les diplomates et les organismes accréditées, on peut bien s’en douter, puisque le Ministre Mbella Mbella comme ses prédécesseurs dans ce genre d’exercice, a présenté le Cameroun une fois de plus comme simplement victime. Il dit : « Le Cameroun fait face à un certain nombre de défis de divers ordres, notamment la situation qui prévaut dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, la lutte acharnée contre la secte islamique Boko Haram, la gestion des flux des réfugiés et déplacés internes, les velléités insurrectionnelles postélectorale d’un certain parti politique et la campagne de désinformation orchestrée par certains milieux, notamment dans les réseaux sociaux. » Avant de se lancer dans des démonstrations qui tendent à blanchir tout le gouvernement dans la gestion de ces différentes crises. Pour lui, s’agissant de la crise anglophone il dit que « certains disent que le Gouvernement a opté pour la solution militaire afin de résoudre ce problème. Cela est loin de la vérité.»Il précise que l’armée camerounaise n’est sur le terrain que pour protéger les populations et leurs biens contre les terroristes sécessionnistes et accomplir son devoir régalien de protection de l’intégrité du territoire.

Comme quoi des étudiantes qu’on voit sur des images sortis de leurs chambres et trainés dans la boue, les avocats violentés, ce sont des actes de protection de la population. Le ministre dit cela à des diplomates qui pour certains étaient en postes en octobre 2016 quand ce qui est aujourd’hui devenue la crise anglophone a commencé avec les revendications corporatistes, et l’on sait quel traitement a été réservés aux manifestants.En outre, le ministre prétend qu’il n’y a pas de crise humanitaire au Cameroun, tout en accusant certaines Ong d’avoir fait état de 4 300 000 déplacés internes. Pourtant, le 13 mai 2019, à l’issue de la réunion informelle du Conseil de sécurité sur le Cameroun, le secrétaire général adjoint de l’ONU pour les affaires humanitaires Mark Lowcock, disait qu’Un Camerounais sur six a besoin d’aide humanitaire, de protection », soit 4 300 000 personnes, notamment des enfants et des femmes. Parlant de la crise postélectorale, Lejeune Mbella Mbella rappelle aux diplomates que« l’élection présidentielle du 7 octobre 2018 s’est déroulée sans incident majeur tel que l’ont reconnu les observateurs internationaux. »

Quand on sait que ces observateurs internationaux se sont avéré être des imposteurs par la suite, on comprend mieux le sens des propos du ministre, faire croire que tout est rose au Cameroun, alors que dans le Nord-Ouest le gouverneur de la région arrive sur la place du défilé protégé dans un véhicule militaire, les élèves font les examens de fin d’année dans les églises surprotégées par des militaires avec la consigne de se coucher s’ils entendent des coups de feu.

Roland TSAPI