Au Sénégal, la compétition électorale est un écran de fumée. Au fil des scrutins, les citoyens votent mais n’entrevoient aucun changement qualitatif de leurs conditions de vie. Une caste s’érige, fruit d’une alliance objective entre leviers politiques, économiques et religieux. La classe politique, interchangeable, se succède mais ne transforme guère la société à l’aune des véritables attentes du citoyen. Or la corruption, la transhumance, la dévalorisation du travail et du mérite, la régression sociale, l’indigence culturelle et intellectuelle ne sont pas une fatalité.

La rupture de confiance entre la classe politique et les citoyens résulte d’un système essoufflé, incapable d’enrayer la montée des inégalités sociales et de répondre aux préoccupations de sa jeunesse. Les citoyens se sont détournés de la classe politique, qu’ils jugent corrompue et immorale. « Tous pareils ! », entend-on dans nos villes surpeuplées et nos campagnes délaissées. La jeunesse, dans son écrasante majorité, a érigé un cordon sanitaire entre elle et un système qu’elle juge peu soucieux du devenir de notre pays.


Penser un logiciel de « construction du commun »

Le rejet d’une classe politique ne peut constituer un projet de société. L’indifférence et le découragement sont les deux faces d’une même médaille, celle, hideuse, du renoncement. L’indignation est un moteur de citoyenneté affirmée. Et, pour être fertile, elle doit être le début d’un engagement dans la formulation d’une vision du monde qui va à rebours de l’offre politique actuelle. Rentrer en politique est un impératif catégorique en vue d’amorcer un renouvellement des idées, des méthodes et des pratiques soucieuses des intérêts du peuple, sur lequel une minorité exerce un pouvoir légitimé par le suffrage universel.



Plutôt que de s’arroger l’espace, en marge des strates du pouvoir, de la dénonciation stérile, la jeunesse, se prévalant de sa compétence et de son éthique, doit se mettre au service de l’intérêt général afin de penser un logiciel de « construction du commun ».

Le Sénégal souffre dans ses entrailles mais n’est en rien condamné au cercle vicieux de l’abaissement national et de la malédiction politicienne. Les politiciens professionnels ne constituent pas un horizon indépassable. Il existe un socle de sursaut pour les luttes futures qui dessineront une trajectoire nouvelle de transformation sociale et sociétale dans l’égalité, la liberté et la justice.



La politique « professionnelle » mène à des impasses

Tout est politique. Ne pas être politisé – à dissocier de « ne pas faire la politique » –, c’est placer une somme de destins entre les mains d’autrui et ne pas se soucier de ce qu’il en fait. Derrière le mépris à l’égard de la chose politique se cache une indifférence à l’échelle individuelle qui, adoptée par un grand nombre de citoyens, devient paralysie collective. C’est par le politique qu’on réussit le passage du statut d’homme à celui de citoyen conscient de l’état de la cité, concerné par son devenir et engagé à œuvrer à un mieux-vivre commun.



Etre politisé, c’est connaître les enjeux du vivre-ensemble, être au fait des rapports de domination au sein de la société, chercher à se donner les moyens d’être à l’abri de toute forme de manipulation. Etre politisé, c’est penser le commun, théoriser les valeurs collectives sur lesquelles doit s’adosser un vivre-ensemble de qualité, écrire la libération des plus faibles et chercher les moyens non partisans de la transmettre à celles et ceux qui pourront y accéder.

Se politiser, c’est introduire et défendre un discours et une pratique de rupture avec un système vicié par une alliance des forts qui dirigent le jeu par l’accaparement et les passe-droits. Les politiciens « professionnels » vendent les mêmes illusions, qui mènent à des impasses.


comme Cheik Anta Diop et Sémou Pathé Guèye

Penser le politique est une chose. Faire de la politique en est une autre, avec sa dimension partisane pleinement vécue dans le champ de la compétition électorale. C’est donc prendre parti et proposer une vision du monde, une alternative en cohérence avec ses valeurs. Il s’agit de s’engager sur le terrain pour porter directement un discours de rupture auprès des faibles et des opprimés. Comme l’ont fait Cheikh Anta Diop et Sémou Pathé Guèye, entre autres.

Face à la crise démocratique dans notre pays, dont l’exemple le plus visible est la perte de crédibilité de la politique, une transformation de l’action publique est nécessaire. C’est elle qui charrie les volontés de lutte contre les inégalités, contre les accaparements des richesses communes, contre les goulets d’étranglement au service d’intérêts individuels, contre l’insuffisance de services sociaux de base, contre le déficit de souveraineté économique et culturelle…



D’où l’urgence de permettre l’avènement de personnes qui gouverneront autrement, qui, sur le terrain, iront à rebours de l’inaction et érigeront l’éveil des consciences en grand nombre. Nous suggérons d’arriver à une hybridation des préoccupations individuelles vers un mouvement commun, qui est la nécessaire politisation de la jeunesse afin d’aboutir à un engagement partisan. Par cette voie, nous proposons une révolution transformatrice de l’action publique, à même de faire advenir nos utopies collectives au service du progrès social et de la dignité humaine.