Contre toute attente, le Mrc se retire des élections locales prévues pour février 2020. Entre consternation et jubilation, le parti dit mettre en avant l’intérêt supérieur de la nation

 « Ces raisons confortent le MRC dans sa décision de ne pas prendre part à la forfaiture du 9 février 2020, faute du règlement de la crise dans le NOSO et de la réforme consensuelle du système électoral, deux exigences qu’il n’a cessé de réitérer. Le MRC appelle les électeurs à rester chez eux le jour du vote et invite la communauté internationale à tirer toutes les conclusions de l’obstination du régime. » C’est par ces propos que Maurice Kamto, le président du parti Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, a conclu l’exposé des motifs qui justifiait la conférence de presse donnée au siège de son parti à Yaoundé le 25 novembre 2019, au cours de laquelle a été rendue publique ce qui est désormais appelée  la déclaration du 25 novembre. En résumé, dans cette déclaration le Mrc informe d’abord l’opinion qu’il  ne prendra pas part aux élections législatives et municipales du 9 février 2020, ensuite il appelle tous les autres partis politiques à le suivre dans cette démarche, et enfin il demande que les Camerounais n’aillent pas voter ce jour en restant chez eux.

Code électoral et crise anglophone

L’annonce est apparue surprenante pour certains, irréfléchie pour d’autres, attendue et à saluer pour une troisième catégorie, et enfin comme une expression de faiblesse et de panique face à l’échec pour  les tenants d’un dernier courant, qui estiment que le parti n’a pas été en mesure de présenter des candidats. Mais au-delà des opinions, les faits soulevés pour justifier le retrait de la course restent constants, à savoir la réforme du Code électoral et l’instauration d’un climat de paix dans les régions du Nord- Ouest et du Sud-Ouest.

Pour la première raison, il s’agit, et cela est connu depuis des années, de ce que les règles du jeu en la matière ne garantissent pas une élection saine, juste et transparente. Sa réforme a été demandée depuis bien longtemps et de manière officielle par tous les partis politiques sauf le parti au pouvoir.  La société civile l’a réclamé et même fait une proposition du Code alternatif, les puissances étrangères et les institutions internationales l’ont également soulevé comme préoccupation essentielle dans différentes déclarations et résolutions prises sur le Cameroun, mais le gouvernement est resté sourd. La voie institutionnelle a aussi été utilisée, à savoir le dépôt des  propositions de loi allant dans ce sens. Les députés du Sdf ne comptent plus le nombre de fois qu’ils l’ont fait, Jean Jacques Ekindi lors de son passage à l’Assemblée nationale de 2007 à 2012 en avait fait son cheval de bataille, l’Udc n’est pas en reste, le Mrc dit avoir déposé aussi une proposition depuis novembre 2014. Le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale prévoit pourtant qu’après trois sessions consécutives de cette Chambre, toute proposition de loi régulièrement introduite est d’office inscrite à l’ordre du jour du Bureau de l’Assemblée. Malgré cela la proposition n’a jamais été introduite à l’ordre du jour, preuve que le parti majoritaire à l’Assemblée ne tient pas à ce que cette loi soit révisée.

Quant à la deuxième raison essentielle de l’appel au boycott, il s’agit d’après le Mrc de ne pas cautionner la partition du pays en deux comme le pouvoir a l’intention de faire, par l’organisation des élections auxquelles ne pourront prendre par les populations des deux régions en crise, ayant quitté leurs habitations pour fuir les conflits.

Volte-face

Le Mrc a pourtant participé à l’élection présidentielle dans les mêmes conditions en 2018. Maurice Kamto explique que cette participation avait deux  objectifs au moins. D’abord mettre à l’épreuve le Conseil Constitutionnel, finalement mis en place après 22 ans d’hésitation. Ce qui a été fait, le monde entier ayant témoigné en direct sa capacité à conduire un contentieux électoral et surtout quel niveau de crédibilité pouvait lui être accordée. Ensuite tester la popularité du parti, et surtout montrer aux yeux du monde que le système en place était désormais vomis et à la recherche d’un nouvel espoir.

Au passage, cette participation aura permis de se rendre compte que la société camerounaise était gangrénée par un mal très profond, le tribalisme. Elle a révélé  au grand jour le fort relent tribal qui couvait au sein du régime où l’on pense que le pouvoir appartient à certains et pas à d’autres. Le discours tribal a ainsi pris corps dans les médias, entretenu par des personnalités parfois insoupçonnées.

Horizon floue ?

Et maintenant ? C’est la question que se pose bien de Camerounais qui ont placé leur espoir en Kamto, ou en le Mrc. L’annonce a été comme une onde de choc pour certains militants qui avaient déjà leurs dossiers prêts et qui se voyaient déjà conseiller municipal, maire ou député. Le Mrc tente de rassurer en indiquant que dans cette démarche, tout le monde est perdant dans une vision à court terme : les militants, le parti politique et lui-même. Le parti dit être « conscient que, faute pour lui de prendre part aux scrutins à venir, il ne pourra pas, dans les conditions du Code électoral en vigueur, présenter un candidat à un prochain scrutin présidentiel, la loi électorale exigeant que tout candidat à une telle élection soit présenté par une formation politique ayant au moins un élu, ou, à défaut, qu’il rassemble au moins 300 signatures de personnalités. De même, le MRC est conscient que faute d’avoir des conseillers municipaux, il ne pourra pas présenter des candidats à d’éventuelles élections sénatoriales et régionales dans les conditions actuelles. »

Mais la préoccupation n’est pas là selon le parti qui explique : « Certes la décision de boycotter les élections municipales et législatives du 9 février prochain peut être mal comprise par une certaine opinion. Cependant, chacun doit réaliser qu’elle est dictée par l’intérêt supérieur de la Nation. L’engagement politique du MRC ne vise pas à assurer quelques postes à ses membres ou à lui adjuger quelques sièges dans un système antidémocratique, liberticide et qui conduit le pays vers le chaos sécuritaire et un désastre économique et social. »

Pour le moment le fait est acté. Le parti sera-t-il suivi dans son action par d’autres partis politiques comme il le souhaite, et quelle peut être l’efficacité d’une telle démarche, pour quelle configuration politique dans les jours à venir ? 

Roland TSAPI