La fourniture de l’énergie électrique souffre de plus en plus de la vétusté des équipements. Pas seulement celles du distributeur Eneo, mais d’avantage de ceux hérités par la Sonatrel, comme les postes transformateurs devenues de véritables poudrières
Une autre coupure d’électricité de grande envergure a sévit dans la ville de Douala depuis le 10 novembre 2019. Une autre, parce que les habitants de la capitale économique, comme ceux de tout le pays, apprennent petit à petit à intégrer l’absence du courant électrique dans leurs habitudes de vie. On quitte invariablement la chaleur en ville dans la journée pour retrouver l’obscurité au quartier le soir. La particularité de la coupure du 10 novembre, c’est qu’elle est provoquée par l’incendie d’un poste électrique à Deïdo. Dans les ménages et les commerces, c’est le distributeur de l’électricité Energy of Cameroun ou Eneo qui est pointé du doigt et subit toutes les parjures, mais à la réalité il n’est aussi qu’une victime. Ce que les populations ne savent pas, c’est que cette fois l’entreprise Eneo est impuissante devant ce qui se passe, n’étant plus désormais qu’un maillon dans la chaine des acteurs du secteur, et subissant elle-même le délestage parfois.
Depuis le 08 octobre 2015 en effet, le président de la République a signé le décret n°2015/454 portant création de la Société nationale de transport de l’électricité (Sonatrel), une société à capital public et placée sous la tutelle technique du ministère de l’Eau et de l’énergie et sous la tutelle financière du ministère des finances. Ses missions, assurer le transport de l’électricité des points de production, à savoir les centrales thermiques, les barrages hydroélectriques, les centrale solaires ou éoliennes jusqu’au point de distribution, appelés poste de transformation. A ce niveau, la Sonatrel livre, si on peut le dire en simplifiant, l’électricité à Eneo, qui se charge par la suite de la distribuer dans les ménages et les commerces. La Sonatrel transporte ainsi l’électricité à travers les lignes haute tension, et la dépose dans les postes de transformation d’où elle est récupérée par Eneo à travers les lignes moyenne tension, pour la livrer finalement dans les ménages par la basse tension. Le poste électrique de Deïdo qui a pris feu est donc l’un de ces points de chute où Sonatrel doit déposer l’électricité, et il a pris feu.
Eneo en sapeur-pompier ?
Eneo quant à elle, harcelée de tout côté par les clients qui ne connaissent qu’elle, a rendu publique malgré elle une note d’information le 11 novembre. Elle informait ses clients que le poste de transformation qui a pris feu a pour conséquence l’interruption de la fourniture du service électrique dans un certain nombre de quartiers à Douala, et la perturbation du service dans le département du Mungo et les régions de l’Ouest, Nord-Ouest et Sud-Ouest. Eneo informait également que les équipes de la Sonatrel sont à pied d’œuvre pour un retour à la normale, après quoi elle procèdera à la réalimentation régulière des clients impactés. En réalité Eneo a publié cette note d’information juste pour contenter les clients, car elle-même ne savait pas quand le courant sera établi, n’étant pas concernée au premier plan.
Le fait même que ce soit Eneo qui communique en lieu et place de la Sonatrel qui est la mise en cause est indicateur qu’il y a problème, et pas des moindre. Cette note d’information a en effet le même contenu que le communiqué conjoint qu’avaient signé les deux structures le 9 août 2019 suite à l’autre incendie deux jours plus tôt, celle du poste transformateur de la Brigade de recherche géologique et minière (Brgm) à Yaoundé, et qui avait plongé la ville dans le noir au-delà d’une semaine.
Héritage des infrastructures vieillissantes
Si Eneo signe une note d’information cette fois ci seule, c’est qu’en réalité la situation devient plus que préoccupante, et la Sonatrel semble dépassée, parce que cela fait deux incendies de forte envergure dans les postes de transformation en 4 mois, et la situation risque de s’empirer en prenant une ampleur plus large. Cette structure s’occupe depuis janvier 2019 de ce qui est appelé dans le domaine l’autoroute de l’électricité, qui auparavant était géré par Eneo à travers la direction des transports. Mais les installations héritées par la Sonatrel d’Eneo, qui les avait aussi héritées d’Aes Sonel, sont dans un état de vétusté très avancé. Les experts du domaine expliquent que les concessionnaires avaient passé le temps à exploiter ces infrastructures de transport sans en assurer l’entretien comme il se devait. Ce qui a poussé l’Etat à revenir sur les erreurs commises lors de la privatisation initiale du secteur, en reprenant le secteur du transport.
La décision a également été motivée par l’exigence des bailleurs de fonds qui ont investi dans la production en construisant les différents barrages hydroélectriques de Memvele’, Mekim, Lom Pangar, ils voulaient s’assurer que l’électricité produite sera transportée en sécurité dans les ménages. L’Etat a donné cette garantie en reprenant le secteur du transport, a promis de faire des investissements pour moderniser le réseau et a même convaincue la Banque mondiale de lui faire un prêt de 200 milliards de francs cfa, qui lui a été accordé depuis le 7 décembre 2016. Tout le projet de modernisation devait coûter 940 milliards de franc cfa, d’après les estimations du ministre de l’eau et de l’Energie de l’époque, un certain Basile Atangana Kouna. Où en est-on à ce jour avec cette modernisation, pour que les installations prennent feu aussi facilement ?
Equipements en sursis
Avec la panne du poste de Deïdo, les autres postes environnants, comme celui de Makepe, vont connaitre un appel de puissance pour secourir les installations des quartiers impactés, exactement ce qui s’était passé quand le poste de Brgm à Yaoundé avait brûlé. Cela peut permettre que l’électricité soit rétablie dans les ménages, comme c’est le cas depuis quelques heures, mais cela ne pourra être que momentanément, et pour deux raisons.
D’abord parce que le poste qui va être sollicité en secours connait les même problèmes de vétustés des équipements et risquera aussi de lâcher, plongeant cette fois davantage de quartiers dans le noir. Un expert à ce sujet explique « connaissant l’état de ces autres postes, il n’est pas exclu que si l’on demande encore un peu plus à un cœur qui avait déjà de la peine à battre, qu’il puisse simplement s’arrêter. » Ensuite, à en croire le même expert, la situation de Yaoundé avait été sauvée en quelques semaines seulement parce qu’il y avait déjà des équipements en attente de dédouanement au port de Douala, qui ont dû être sortis d’urgence pour remédier à la situation.
Ce qui ne semble pas être le cas en ce moment, et donc la solution pérenne n’est sûrement pas pour demain surtout que les autres postes transformateurs qui résistent encore, sont seulement en sursis. Le non renouvellement des équipements, qui doit être la vraie cause des incendies des postes transformateurs, risque de plonger d’un moment à l’autre tout le pays dans le noir. Pour éviter cela, le secteur de l’énergie au Cameroun, a plus que jamais besoin d’une solution énergique
Roland TSAPI