Ils subissent au quotidien des frustrations de toutes sortes, dans une société qui travaille à les reléguer au second plan. Même à l’occasion de la célébration de leur journée mondiale ils subissent des pressions humiliantes de l’administration
La journée du 05 octobre de chaque année est consacrée dans le monde entier à l’enseignant, occasion pour ce corps de métier de mettre en valeur la profession, tout en rendant hommage à ceux qui la composent. Cette année 2019, la célébration est placée sous le thème « Les jeunes enseignants : l’avenir de la profession ». Le message conjoint de 5 organisations dont l’Unesco, l’Oit, l’Unicef, le Pnud Et l’Internationale de l’éducation, publié à cette occasion, dit ceci : En choisissant le thème « Jeunes enseignants : l’avenir de la profession », nous reconnaissons combien il est important de réaffirmer la valeur de la mission accomplie par les enseignants. Nous encourageons les gouvernements à faire de l’enseignement une profession de premier choix pour les jeunes. Nous invitons également les syndicats d’enseignants, les employeurs du secteur privé, les directeurs d’école, les associations de parents et d’enseignants, Les comités d’administration des établissements, les responsables de l’éducation et les formateurs d’enseignants à partager leur savoir et leur expérience en vue de favoriser l’émergence d’un corps enseignant dynamique. Par-dessus tout, nous célébrons le dévouement des enseignants partout dans le monde, qui œuvrent chaque jour à faire en sorte qu’ « une éducation équitable, inclusive et de qualité » et des « possibilités d’apprentissage tout au long de la vie pour tous » deviennent une réalité universelle. »
Humiliation à la camerounaise
Cette question de l’avenir de la profession est plus qu’importante pour ce qui est du Cameroun, au regard du sort misérable réservé aux enseignants, et à travers eux au corps de métier. Le 19 septembre 2019, une enseignante de la classe du Cours élémentaire 2 à l’Ecole publique du Garage militaire de Bafoussam II, a été humiliée devant ses élèves et ses collègues, par un élément des forces armées camerounaises. Ce dernier qui ne tolérait pas que l’enseignante inflige une sanction à son enfant, l’a d’après le Syndicat national indépendant des Enseignants de Base, attrapé par les cheveux, lui a administré plusieurs gifles avant de cogner sa tête plusieurs fois sur le mur. Ce militaire ne serait pas d’ailleurs à son premier coup, ayant d’après le Syndicat agressé un enseignant du Cours moyen 2 l’année précédente dans la même école.
A Bafoussam toujours, la Coordination régionale du Syndicat national autonome des enseignants du secondaire, a envoyé le 30 septembre 2019 au Délégué régional des enseignements secondaires pour l’Ouest une lettre de protestation. Pour s’offusquer de ce que ce dernier a, dans une note de service datant du 23 septembre, imposé que les enseignants du département de la Mifi défilent le 5 octobre avec l’effigie du Chef de l’Etat. Le syndicat s’insurge ainsi contre ce qu’il appelle une instrumentalisation des enseignants à des fins politiques, au moment où ils ont plusieurs revendications formulées et non encore résolues.
Transformés en ouvriers des champs
L’autre humiliation des enseignants, et non des moindres, vient de la ville de Nkongsamba dans le département du Moungo, Région du Littoral. Le proviseur d’un lycée a signé un communiqué dans son établissement, dont il vaut mieux donner la teneur en entier : « Dans le cadre de la célébration de la Journée internationale des enseignants, tout le personnel administratif et tous les enseignants qui n’ont pas cours le jeudi 03 octobre 2019, sont conviés à la séance d’investissement humain qui aura lieu ce jeudi 03 octobre 2019 de 08h à 09h30mn, pour le nettoyage des alentours de la nouvelle sous-préfecture de l’arrondissement de Nkongsamba 2eme sise à côté de la mairie de Nkongsamba IIeme. La présence de tous est une nécessité de service. »
Face à ces agissements dénigrant à l’endroit du corps enseignant, on ne peut que marquer sa désolation, surtout que ces trois cas de violations proviennent des corps publics, qui non seulement se doivent solidarité mais aussi protection.Il faut le dire sans ambages, cette attitude doit être dénoncée avec la dernière énergie. L’enseignant n’est pas un chiffon pour laver les assiettes, il n’est pas une serpillère sur laquelle chacun doit essuyer ses pieds.Les professeurs des lycées, au-delà d’être des humains dont les droits sont garantis par les textes nationaux, les conventions et traités internationaux, sont au moins des titulaires des diplômes d’enseignement supérieur. Au nombre d’années et de niveau d’études comparable ils ne sont pas différents des sous-préfets, ce sont les écoles de formations dans lesquelles ils sont passés qui diffèrent. Imagine-t-on aussi le préfet en train de demander aux sous-préfets de son département d’aller faire l’investissement humain dans les alentours d’un lycée ?
Souffre-douleur
Pourquoi l’enseignant est-il devenu le souffre-douleur de tout le monde ?
Dans le privé il est sucé jusqu’à la dernière goute de sueur par des promoteurs d’établissement qui ne pensent qu’à s’enrichir avec des frais de scolarité hors de prix, mais qui ne peuvent lui assurer un salaire digne, une inscription à la Cnps et une assurance maladie. Dans le public il est frustré dans son administration, où les affectations et les nominations ne sont pas toujours équitables, ou après avoir passé 15 ans dans un établissement, on nomme au-dessus de lui des responsables sortis de l’école il y a deux ans. Il est frustré par la fonction publique, qui le tourne en bourrique pendant des années après la sortie de l’école pour régulariser son statut, il est frustré par le ministère des finances, où il doit faire le pied de grue, donner des pots de vins pour faire avancer son dossier et toucher son rappel, pendant ce temps son camarade de lycée qui est entrée à l’Enam perçoit déjà un salaire étant à l’école, est intégré directement à la sortie et son solde régularisé.
Il est frustré par les parents d’élèves qui le menace pour avoir osé parler à leurs enfants pour les redresser, il est insulté par ces élèves qui lui rappellent qu’il ne vaut rien comparé à leurs parents de magistrat, hommes d’affaires et autre, En plus de cela on veut faire d’eux les domestiques des sous-préfets. Ce n’est rien d’autre que du mépris, parce que le proviseur dispose d’autres moyens pour faire plaisir au sous-préfet. Dans les programmes scolaires il y a encore le travail manuel, il pouvait prendre des dispositions pour que des élèves fassent ce travail dans le cadre de ces cours. Cela aurait l’avantage d’habituer ces élèves ne serait-ce que pour une heure ou deux à l’environnement champêtre qu’ils évitent de plus en plus de nos jours.
Que l’on le reconnaisse ou pas, l’enseignant est un pilier essentiel de la société. Que tous ceux qui ont des positions dites privilégiées et qui aujourd’hui crachent sur ces derniers, se rappellent qu’ils sont tous passés entre les mains d’un enseignant. Mais il faut aussi se poser la question de savoir si l’enseignant autant méprisé dans la société, n’en est pas responsable quelque part. L’une des sagesses africaines est sans équivoque là-dessus, « c’est la patate qui a accepté qu’on la mange crue. »
Roland TSAPI