Médiateur neutre, cessez le feu, amnistie générale, libérations des détenus, inscription à l’ordre du jour de la forme de l’État…

tous les préalables soulevés par la société civile et les partis politiques sont simplement ignorés par le pouvoir qui donne tout l’air d’avoir un agenda établi

Le dialogue national qui s’est ouvert ce lundi 30 septembre 2019, se préparait depuis le 12 septembre, deux jours après l’annonce par le président de la République Paul Biya. Les consultations ont constitué l’une des phases les plus visibles et les plus médiatisées de  cette préparation, consultations au cours desquelles certaines délégations ont posé des préalables nécessaires à un dialogue réussi.

Le Sdf ouvre le bal

L’une  des délégations à être reçues aux premières heures par le Premier ministre Joseph Dion Ngute était celle du Social democratic Front, le Sdf de Ni John Fru Ndi.  En l’absence de ce dernier qui se trouvait en Occident pour des raisons de santé, c’est le vice-président du parti, et candidat à la dernière élection présidentielle Osih Joshua qui conduisait cette délégation. Au sortir de la rencontre, il a rendu public un communiqué qui revenait sur les propositions faites au Premier ministre : une personnalité neutre pour présider les travaux, la discussion sur la forme de l’État dans l’optique d’adopter une nouvelle constitution, la prééminence des anglophones compte tenu du fait que ce dialogue est provoqué par la crise anglophone et surtout une amnistie générale pour toutes les personnes impliquées dans la crise pour permettre à toutes les parties prenantes d’être de la partie.

L’église prend le relais

Le 19 septembre 2019, L’archevêque émérite de Douala, le Cardinal Christian Tumi à la tête d’une délégation constituée de leaders religieux musulmans, protestants, presbytériens, s’est rendu à son tour à l’Immeuble étoile. Un document de 400 pages a été remis au Chef du gouvernement, contenant les propositions des hommes de dieu. Normal, puisque cette équipe est celle-là qui s’est mobilisée depuis plus d’une année pour organiser la « All Anglophone conférence », et des différentes rencontres préparatoires à ce sujet sont certainement sorties plusieurs propositions.

Le contenu du document remis au Premier ministre n’a pas été rendu public, le Cardinal a simplement résumé cela à la sortie de l’audience au micro de la Crtv  en ces termes : « Là où il y a la paix Dieu est là. Là où il y a la guerre il est absent. Nous sommes obligés de tout faire, même au prix de notre vie pour que la paix revienne chez nous ici au Cameroun. Nous avons observé l’immoralité chez les amba boys et chez les militaires. Quelle formation morale devons-nous proposer dans le système d’éducation de notre jeunesse. Nous aurons les propositions après le dialogue.»

Le Mrc demande la libération de ses leaders

Pour le mouvement pour la renaissance du Cameroun, la deuxième vice-présidente du parti Tiriane Noah a conduit une délégation chez le Premier ministre le 18 septembre 2019 pour remettre essentiellement le mémorandum du parti, qui conditionne sa participation à  « la libération préalable de son président national, des leaders des partis politiques et organisations alliés ainsi que des militants et sympathisants du MRC arrêtés arbitrairement et détenus illégalement depuis plus de sept mois pour certains, à la suite des « Marches Blanches Pacifiques » des 26 janvier, 1er et 8 juin 2019. »

Au-delà, l’ordre du jour devra impérativement inclure d’après le parti, la question de la forme de l’État, la réforme du système électoral, la garantie du respect des droits humains fondamentaux et des libertés publiques, et la garantie de l’indépendance de la Justice.

L’Association Kofi Annan aussi…

Le 20 septembre, Association Internationale Kofi Annan Pour la Promotion et la Protection Des Droits de l’Homme et la Paix, a fait parvenir au premier ministre des propositions pour un dialogue réussi. Elle estime que pour la structure d’animation du dialogue, il faut un médiateur neutre qui connaît l’histoire de la colonisation du Cameroun et son accession à l’indépendance, assisté du  Gouvernement du Cameroun, des partenaires bilatéraux et multilatéraux du Cameroun ainsi que les amis du Cameroun, de la CEMAC, de la CEEAC, de l’Union Africaine, de la Francophonie, du Common-Wealth, d’un représentant du Vatican, de l’Islam et du protestantisme – et enfin d’une autorité traditionnelle jouissant d’une neutralité reconnue et disposant d’au moins 50 ans au trône.

L’association préconise également que pour que le dialogue réussisse, le pouvoir doit assurer la garantie de sécurité pour les membres de la diaspora et non poursuite en cas de présence au dialogue, la libération des leaders sécessionnistes et des membres de partis politiques encore détenus, le respect de la liberté d’expression. Il doit également inscrire les points à débattre sur un site internet et solliciter le vote du peuple pour éviter les agendas cachés et faciliter le contrôle ultérieur, et envisager l’adoption consensuelle des points inscrits à l’ordre du jour après vote numérique du peuple.

…et les autres

Le 21 septembre 2019, la FakoConference of traditionnalsrulers , une association des chefs traditionnelles du département du Fakodans la région du Sud-Ouest, a remis un mémorandum au gouverneur de la région pour transmission. Ces derniers demandaient en prélude au dialogue une amnistie générale pour tous ceux qui sont concernés par la crise anglophone, et à l’issue du dialogue une fédération à 10 états pour le Cameroun, une présidence rotative au niveau fédéral, une révision de la Constitution dans le but revoir la durée du mandat du Chef de l’Etat.

Le 24 septembre, dans un communique de presse, le secrétaire général du Camroon Peoples Party, Frank Essi, informait l’opinion que le parti avait fait parvenir par voie électronique et physique un document contenant ses propositions, pour lesquelles  le parti n’a pas jugé nécessaire de faire le déplacement de Yaoundé. Sans dévoiler le contenu des propositions qu’il dit par ailleurs connu, Frank Essi rappelle qu’elles portent sur la facilitation et les facilitateurs/trices d’un vrai dialogue national, et les garanties de l’application des résolutions dans un vrai dialogue national.

Le 25 septembre, c’était le tour des organisations de la Société civile de présenter leur mémorandum devant la presse à Douala, qui a été également acheminé dans les services du Premier ministre, et contenant presque les mêmes préalables déjà soulevés.

Tous bottés en touche

Bref, ce ne sont pas des propositions des conditions préalables à un véritable dialogue qui ont manqué. Mais à ce jour, le gouvernement est resté de marbre, déroulant chaque jour son agenda comme s’il était prévu avant même que le président de la république ne fasse l’annonce. Aucun détenu n’a été libéré, aucune garantie de sécurité, pas de personnalité neutre pour présider les travaux, pas d’agenda consensuel. Le plan prévu par le pouvoir est tranquillement en train de se mettre en place, et sera déroulé jusqu’au bout, avec des résultats que l’on peut aisément imaginer. Le schéma est dès lors simple : le gouvernement est pointé du doigt comme source du problème, il organise son dialogue, invite qui il veut, désigne qui il veut dans les commissions, organise une soirée de gala et lit le lendemain des résolutions, et puis voilà…

Roland TSAPI