Depuis vendredi 12 juillet 2019, 58 militants du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun bénéficient d’un non-lieu dans l’affaire des marches blanches du 26 janvier 2019. Parmi eux certains étaient déjà en liberté et d’autres détenus à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé. Ces derniers respirent désormais l’air de la liberté (vraiment), à la faveur de la main levée du juge d’instruction du tribunal militaire de Yaoundé sur les mandants de détention provisoire qui pesaient sur eux depuis leurs arrestations.

Le non-lieu, en droit veut simplement dire qu’il n’y aura pas de poursuite devant les tribunaux, car comme le dit la note de règlement qui leur a été servi vendredi 12 juillet au soir : « disons n’y avoir lieu de suivre contre ces derniers dont les noms sont cités pour insuffisance de charge, Ordonnons le classement de la procédure en ce qui les concerne au greffe du tribunal des céans pour y être reprise en cas de survenance d’éléments nouveaux liés à leur identification éventuelle pour X et de charge nouvelle pour les autres. »

6 mois pour rien

Non-lieu pour insuffisance de charge. Voilà la conclusion à laquelle la juridiction de Yaoundé est arrivée pour ces 58 militants, après les avoir gardés en prison pendant 5 mois et 12 jours exactement. Et maintenant qu’ils sont libérés pour ceux qui étaient gardés, et que rien n’est retenu contre eux, qui paye pour le temps qu’on leur a perdu ? Fallait-il autant de temps pour constater que le dossier était vide ? Toutes ces questions et bien d’autres laisse bien comprendre que cette détention et cette libération n’ont rien de judiciaires, elles ont tout l’air d’être simplement politiques.

Libération politique

Ce d’autant plus que d’autres militants sont maintenus en prison, alors qu’ils ont été interpelés dans les mêmes conditions, aux mêmes moments et aux mêmes endroits que certains qui ont été libérés. C’est l’exemple de ce militant sur qui les policiers avaient tiré sur les jambes le 26 janvier 2019 à Beedi en lui intimant l’ordre de marcher, et ce au même moment qu’une autre militantes de sexe féminin. Les deux avaient subi le même traitement de ce policier, et avaient tous été internés à l’hôpital général de Douala, avant d’y être enlevés manu militari le 29 janvier en compagnie d’autres militants qui s’y retrouvaient pour blessures par balle toujours. Aujourd’hui l’un est libre et l’autre encore détenue. Et les juristes expliquent que cela est possible parce qu’en matière pénale la responsabilité est individuelle, que l’on peut interpeller deux personnes dans des mêmes conditions et trouver qu’il y a des charges contre l’un et pas contre l’autre. Mais il est évident que ces subtilités du droit, que l’on regarde souvent seulement quand ça arrange, c’est exactement ce qui est utilisé pour distraire et justifier des actes qui son éminemment politiques. La libération d’une infime partie des personnes interpelées à laquelle on a eu droit le 12 juillet ne peut être bien perçue sans considération politique en effet, le pouvoir voulant montrer qu’il a la volonté de décrisper une atmosphère qui devient lourde un peu plus chaque jour.

Tribunal militaire

Les accusés sont envoyés devant le tribunal militaires, et il serait bien curieux de savoir ce que les avocats de l’Etat vont produire comme preuve des accusations d’insurrection, hostilités contre la patrie, rébellion, dégradation des biens publics, destruction, manifestation publique, attroupement, outrage au président de la république. En plus de la majorité des militants, les responsables du parti sont également maintenus en prison. Normal, puisque dans la logique du pouvoir il faut frapper le berger pour disperser le troupeau.

Le juge d’instruction du tribunal militaire, qui au passage reconnait la compétence du tribunal militaire de juger les civils, dit les charges suffisantes contre Maurice Kamto, Dzongang Albert, Penda Ekoka Christian, Djamen Célestin, Abe Abe Gaston, Fogue Tedom Alain, Kingue Paul Eric et Ndocki Michèle Sonia Martine. Ces charges retenues contre ces leaders sont constituées des faits d’insurrection, hostilité contre la patrie, rébellion, réunion et manifestation, attroupement à caractère politique, complicité d’outrage au Président de la république, complicité de dégradations des biens publics ou classés, complicité de destruction des biens publics ou privés.

En plus de ces faits, une autre charge a été retenue contre maitre Ndoki. Le juge d’instruction dit les charges suffisantes contre elle d’avoir commis les faits de tentative d’émigration clandestine. Il décrit ces faits en disant que sans se soumettre aux contrôles de la police des frontières, l’avocate a tenté de sortir du Cameroun à destination du Nigéria, tentative manifestée par un commencement d’exécution à savoir le fait de s’être retrouvée à la frontière du Nigéria à Idenau dans une embarcation, cagoulée et qui n’a manqué son effet que suite à une cause indépendante de sa volonté. On est là en plein dans l’adage selon lequel qui veut noyer son chien l’accuse de rage. Des milliers de Camerounais, qui chassés par la misère s’enfuient tous les jours à travers les frontières terrestres, pour se retrouver dans le désert du Sahara ou vendus en esclave en Lybie, les fonctionnaires de la police des frontières ne les voient jamais sortir.

Sans doute parce qu’ils ne s’appellent pas Michelle Sonia Martine Ndoki, et surtout parce qu’ils n’ont jamais osé mettre à mal le tout puissant Conseil Constitutionnel du Cameroun au cours des audiences du contentieux électoral.

Violation des conventions

Elle sera d’après le juge d’instruction, traduite pour cela devant le tribunal militaire, et ce, en violation outre des propres lois du Cameroun notamment la loi N°2008/015 du 29 décembre 2008 portant organisation judiciaire militaire, en son article 7, mais en plus au mépris des Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique, de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, ratifiées par le Cameroun et qui est bien partie prenante de cette commission. Le point L de ces Directives, parlant du Droit des civils à ne pas être jugés par un tribunal militaire : « Les tribunaux militaires ont pour seul objet de connaître des infractions d’une nature purement militaire commises par le personnel militaire. Les tribunaux militaires ne peuvent, en aucune circonstance, juger des civils.» Le juge d’instruction du tribunal militaire voit les choses plutôt autrement, Après cela il y aura des portes voix du pouvoir qui viendront expliquer que le Cameroun est respectueux des droits de l’homme et des accords internationaux qu’il a ratifié ; alors que les actes posés au quotidien nous en éloignent chaque jour davantage.

Roland TSAPI