L’année scolaire 2018/2019 s’achève progressivement au Cameroun avec les examens et concours officiels. Au niveau de l’école primaire, cette fin d’année est surtout le début de la prochaine année pour les élèves des classes de cours moyen deuxième année du sous-système éducatif francophone et ceux de class 6 du sous-système anglophone. Ces finissants du primaire sont en effet soumis au concours d’entrée en 6eme et au common entrance respectivement, avec en perspective le cycle secondaire. Mais pendant que les élèves du sous-système francophone sont directement admis au concours d’entrée en 6eme, ceux du sous-système anglophone sont soumis à une épreuve supplémentaire appelée interview.

Nid de corruption, illégalité et …

Il s’agit d’une sorte d’examen oral, qui malheureusement se trouve être une niche de corruption. Des témoignages concordants dans les villes de Douala et de Bafoussam font état de ce qu’il est demandé entre 60 000 et 100 000 francs aux parents d’élèves pour assurer définitivement une place en form 1 dans un établissement, l’oral en question n’étant en réalité qu’un prétexte. Cette pratique, qui dure pourtant depuis de nombreuses années n’est en vigueur que dans les régions francophones du pays. Des enseignants du sous-système anglophone confirment bien que dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le common entrance donne lieu à une admission directe, pas d’oral, tout comme le concours d’entrée en 6eme dans les zones francophones.

Cette pratique ne reposerait en plus sur aucun fondement légal. Aucun texte n’existerait qui institue une deuxième phase au Common entrance. Dans la loi n°98/004 du 4 avril 1998 d’orientation de l’éducation au Cameroun, l’article 15 : (1) dit que « Le système éducatif est organisé en deux sous-systèmes, l’un anglophone, l’autre francophone, par lesquels est réaffirmée l’option nationale du biculturalisme. (2) Les sous-systèmes éducatifs sus-évoqués coexistent en conservant chacun sa spécificité dans les méthodes d’évaluation et les certifications. »Aucune spécification n’est cependant donnée sur le Common entrance. Et y regardant de plus près, cette pratique ne saurait faire l’objet d’une loi, car l’on ne saurait prendre une loi sur un concours applicable dans certaines régions du pays et pas dans d’autres.

Les parents des élèves qui ont composé le common entrance sont ainsi formels, c’est une question d’argent. L’une d’entre eux explique que quand elle a exprimé son étonnement que l’on dise après cette fameuse interview que son enfant n’est définitivement pas retenu au lycée bilingue,le maître d’école primaire qui le suivait lui a retorqué qu’il ne savait pas qu’elle tenait à ce que l’enfant aille au lycée, sinon il lui aurait dit de préparer l’enveloppe puisque c’est ainsi que cela se passe.

…discrimination

Au-delà de l’argent qui circule et conditionne donc l’admission définitive au Common entrance dans les régions francophone du pays, il faut relever déjà le deux poids deux mesures dans le traitement des élèves d’un même niveau dans un pays. Pourquoi le concours d’entrée en 6eme pour les élèves francophones doit se faire sur admission directe, alors que le common entrance se ferait en deux phase ? Pourquoi ces deux phases se feraient seulement dans les zones francophones alors que dans les zones anglophones l’admission est directe ? Comment le ministère de l’éducation de base peut-il laisser prospérer une pratique qui montre bien aux élèves à très bas âge qu’ils sont différents ? Comment le petit élève anglophone qui était aussi brillant dans son système que son camarade francophone, se sentirait en se rendant compte qu’il n’irait pas au lycée parce qu’il a été bloqué par une fameuse interview à laquelle son camarade n’a pourtant pas été soumis lui aussi ?

Les germes de la division

De quelque bout que l’on veuille prendre l’affaire il subsiste une incongruité. L’argument avancé par certains responsables d’établissements, selon lequel c’est pour limiter le nombre d’élèves suivant la prescription ministérielle, ne convainc personne. La limitation du nombre pouvant bien se faire à la correction de la phase écrite, à l’issue de laquelle un chef d’établissement qui n’a que 300 places en form 1 peut ne prendre que les 300 premiers, ce n’est pas cela qui est le plus difficile à faire. Cela aura au moins l’avantage de ne pas donner un faux espoir à un enfant, pour qu’il se retrouve finalement échoué au concours juste parce que ses parents n’ont pas pu bien parler pour emprunter au jargon de la corruption.

La phase orale n’est ni pédagogiquement opportune à ce niveau de l’enseignement, ni logiquement justifié. Même au niveau du baccalauréat, cette phase qui avait encore cours dans les années 80 a été finalement supprimée pour l’enseignement général. Si on supprime l’oral au Bacc, pourquoi l’imposer au Common entrance ?

Même si les parents ne le disent pas, et davantage les parents anglophones qui habitent et travaillent dans les zones francophones, ils sont frustrés par ce traitement à double vitesse des élèves d’un même pays, juste parce que l’un est anglophone l’autre francophone. Ces frustrations qui exacerbent les rancœurs et renforcent le sentiment d’exclusion chez certains Camerounais. Et ce sont autant d’attitudes, de faits et gestes qui enveniment la situation et compliquent le vivre ensemble, que le gouvernement appelle de tout cœur, tout en continuant de laisser trainer les germes de la division dans son fonctionnement quotidien.

Roland TSAPI