L’actualité politique a été nourrie le weekend du 11 au 12 mai par l’adhésion de Cabral Libii à un nouveau parti politique,
le Parti Camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN). L’ex leader du mouvement Onze millions de citoyens n’est pas simple militant du nouveau parti, il en est même devenu le président. Le 28 février 2019 pourtant, il y a bientôt trois mois, les médias annonçaient la création d’un nouveau parti dénommé Organisation du Mouvement Patriotique (OMP) par le même Cabral Libii, le jeune politicien était bien sûr annoncé comme le président de cette nouvelle organisation. Une semaine après, les médias encore, parlaient de l’assemblée générale constitutive d’un autre parti tenu le 6 mars 2019 à Yaoundé. Cette fois il s’agissait d’un parti né de la transformation du mouvement onze millions des citoyens, le dossier de création du parti avait été déposé sous l’appellation « Les Citoyens. »Bien loin en arrière, en juillet 2018, c’est sous la bannière du parti Univers que Cabral Libii s’était présenté à l’élection présidentielle, étant entrée sur la scène avec l’opération 11 millions d’inscrits sur les listes électorales, transformée après la clôture des listes en Mouvement Onze millions des citoyens.
Nécessité d’une chapelle politique
C’est dire qu’en moins de 12 mois, le jeune prodige ou le Macron Camerounais aura été le porte étendard de 5 organisations au total, à savoir l’opération 11 millions, le mouvement onze Millions, le parti Univers, le parti les Citoyens et aujourd’hui le Parti Camerounais pour la réconciliation nationale. De quoi se poser la question de savoir ce qui fait courir Cabral, ou plutôt derrière quoi exactement il court.
Les migrations du début étaient compréhensibles, motivées par la nécessité de trouver un parti politique qui devait porter sa candidature à l’élection présidentielle. En effet pressenti par une bonne frange de la jeunesse pour porter leur fanion à la veille de la présidentielle, il s’était buté sur la contrainte légale qui impose à tout candidat d’être porté par un parti politique ou à défaut, réunir 300 signatures sur l’ensemble du territoire, à raison de 30 par régions, d’après les dispositions de l’article 121 du Code électoral. Le plus simple face à cette situation était de se mettre sous un parapluie politique déjà existant et surtout ayant au moins un conseiller municipal dans une commune, et c’est le parti Univers qui s’offrait comme meilleure opportunité, le mariage ne fut pas moins heureux entre les deux.
Mais après l’élection, le propre des hommes politiques camerounais refit surface. Dans l’idéal le jeune prodige aurait dû continuer à mener sa carrière politique sous la même bannière, ce qui permettait de mettre en orbite un parti Univers qui n’existait jusque-là que par son président fondateur Prosper Nkou Mvondo, en même temps que le jeune devait bénéficier d’un encadrement et d’un appareil. Mais l’égo humain pris le dessus, le conflit de leadership s’installa peu à peu, plus ou moins atténué au fur et à mesure par des formules de politesse du cadet qui ne voulait pas offenser l’aînée, mais qui tenait quand même à affirmer son autorité et capitaliser son relatif succès sur l’échiquier politique.
Nkou Mvondo voulait rester maître de son appareil, Cabral Libii voulait contrôler un appareil. Par médias interposés, les civilités échangées laissaient bien comprendre qu’une crise couvait en dessous, et tout observateur averti savait que la création d’un parti politique par le second n’était plus qu’une question de temps.
Temps qui n’a pas trop duré, le dossier de création d’un parti politique confirmé par l’intéressé lui-même, est celui déposé le 6 mars 2019. Dans des conditions normales, le parti devrait déjà être autorisé d’ici 23 jours c’est-à-dire le 6 juin au plus tard.
A défaut il aurait une existence légale, en application de l’article 7 de la loi n° 90/056 du 19 décembre 1990 portant sur la création des partis politiques, qui dit, « alinéa 1, la décision autorisant l’existence légale d’un parti politique est prise par le ministre chargé de l’Administration territoriale, alinéa 2, en cas de silence gardé pendant trois (3) mois à compter de la date de dépôt du dossier auprès des services du gouverneur territorialement compétent, le parti est réputé exister légalement. »
Mais Cabral Libii a bien flairé le danger de l’attente. Dans l’intervalle, il lui a été signifié, même verbalement que son mouvement était interdit de toute activité politique sur le territoire national, et il a bien compris que l’autorisation de fonctionner risque de ne jamais lui être attribuée.
Il a aussi bien compris que dans le contexte actuel où l’agenda du pourvoir est de museler complètement l’opposition, il lui serait difficile de développer autre canal pour s’exprimer politiquement. Et comme les échéances électorales locales pointent à l’horizon, il fallait ménager sa monture, car il a bien l’intention d’aller loin.
Il faut bien y aller en effet, et qui va lentement va sûrement a-t-on coutume de dire. Sauf qu’à l’allure où Cabral Libii va, ce n’est pas pour rassurer une jeunesse qui a placé son espoir en lui. L’image projetée aujourd’hui est celle d’un papillon qui va de fleur en fleur recherchant là où le nectar peut être plus juteux.
Le reproche fait à la classe politique depuis les années 92, est l’incapacité des leaders à faire preuve d’une véritable résistance face à l’adversité, pour se forger avec le temps une véritable stature et être à l’abri des transhumances politiques.
Aller de partis en partis semble être plutôt de l’opportunisme, là où on attend un leader fort, déterminé, patient, à l’image des Nelson Mandela en Afrique du Sud, ou plus proche de nous de Um Nyobé, Ernest Ouandié, Roland Moumié, OssendéAfana, Abel Kingue et les autres , qui ont su rester eux-mêmes face à tous les pièges et appâts tendus par le colon adversaire capable de se métamorphoser en un ange.
La classe politique camerounaise en reconstruction aujourd’hui n’a plus droit à l’erreur, et ceux qui se positionnent comme des catalyseurs devraient être bien conscients qu’ils cristallisent l’espoir d’une jeunesse et d’un peuple.
Il est peut-être judicieux aujourd’hui de prendre la tête d’un parti politique dans lequel on n‘a jamais milité pour préparer les échéances futures, mais il ne faut pas oublier qu’on joue là sur un terrain politique où tous les coups sont permis et où tous les politologues s’accordent pour dire qu’il n’y a pas de morale.
Le président du Parti Camerounais pour la réconciliation nationale a peut-être donné la chèvre à Cabral Libii, mais il tient encore ferme la corde, qu’il peut tirer à tout moment. L’adage dit que qui veut aller loin ménage sa monture, il ne dit pas qu’il faut emprunter sa monture, car comme dit le proverbe sénégalais, « qui emprunte pour bâtir, bâtit pour vendre. »
A demain
Roland TSAPI