Honorables membres du Parlement ;

La 2e session ordinaire de l’Assemblée nationale s’est ouverte le 12 mars 2019.

Le projet de lois portant sur le nombre, la proportion par catégorie et le régime des indemnités des conseillers régionaux, et celui portant modification du Code électoral ont été adoptés le 30 mars 2019.

Sur le déroulement de la session :

L’ONG Un Monde Avenir s’indigne qu’au moment où le pays connait une période de grande crise jamais connue ces 40 dernières années, avec Boko Haram au Nord, les rebelles centrafricains à l’Est et les revendications sociopolitiques transformées en conflit armé dans les régions du Sud-ouest et du Nord-Ouest, une des crise postélectorales les plus aiguës de même que le pays compte les pertes en vies humaines par milliers, plus d’un million de déplacés internes, les parlementaires n’aient pas cru nécessaire d’inscrire toutes ces questions à leur ordre du jour pour tout au moins proposer des pistes de solutions.

Comment comprendre que vous n’ayez pas trouvé important de mettre en discussion la situation scolaire en quasi-arrêt depuis plus de deux ans dans les régions anglophones, des pertes en vies humaines qui s’évaluent à plusieurs centaines voire déjà le millier dans cette partie du pays ?

Comment comprendre que vous n’’ayez pas trouvé nécessaire d’inscrire à l’ordre du jour la situation socio-sécuritaire volatile dans le Grand Nord qui perdure depuis plusieurs années maintenant ?

Comment comprendre que vous soyez restés de marbre face à la crise post-électorale qui secoue le pays avec plus d’un millier de personnes interpellées, dont plusieurs sont encore détenues souvent loin de leur localité de résidence ?

Comment ne pas s’offusquer que vous n’ayez pas trouvé urgent de revoir notre arsenal juridique et institutionnel électoral au vu de ladite crise post électorale qui, sévissant depuis plusieurs mois, est consécutives à la faible confiance des acteurs au système électoral en vigueur?

Sur les lois adoptées :

Le projet de loi N 1047/PJ/An fixant le nombre, la proportion par catégorie et le régime des indemnités des conseillers régionaux envoyé au Parlement a été adopté, le 29 mars 2019 à la Chambre basse et envoyée à la Chambre haute malgré des réserves émises par plusieurs députés.

L’ONG Un Monde Avenir s’inquiète de ce que ce projet de loi soit passé sans aucun amendement, alors que sur le point de la répartition des sièges des conseillers, elle les fixe à 90 pour chacune des régions existantes, en violation flagrante des dispositions de la loi n° 2006/004 du 14 juillet 2006 fixant le mode d’élection des Conseillers régionaux, qui précise à l’article 6 alinéa 1: « L’effectif des conseillers régionaux et la répartition des sièges à pourvoir entre les départements de chaque région et au sein de chaque département, entre les délégués et les représentants du commandement traditionnel, sont proportionnels à la population de chaque région et de chaque département, suivant le cas. »

L’ONG Un Monde Avenir observe qu’il s’agit là d’une énième violation du suffrage égalitaire, faisant suite au non-respect de l’article 173 du Code électoral qui fixe le nombre de conseillers à 25 pour moins de 50 000 habitants, 31 pour 50 000 à 100 000 habitants, 35 pour 101 000 à 200 000 habitants, 41 pour 201 000 à 300 000 habitants et 61 pour plus de 300 000 habitants. Cette disposition du Code électoral n’est plus en adéquation avec la situation démographique actuelle de nos communes. En effet, celle-ci est une reprise de l’article 24 de la loi du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes adoptée en 2004, et sur laquelle le nombre actuel des conseillers municipaux se fonde.

Voici du reste un cas concret des violations du suffrage égalitaire et de l’équité électorale.

Dans la ville de Douala en effet, la commune de Douala IV  compte 41 conseillers municipaux. Le recensement général de 2005 indique qu’elle a une population de 250 626. En appliquant le taux de croissance de 2,8% cette population devrait être de 306 766 en 2013 et de 348 871 habitants en 2019.

De même, le département du Wouri compte 9 députés à ce jour pour plus de 2 000 000 d’habitants contre 11 députés pour la région du Sud avec une population globale estimée à un peu moins de800 000 habitants.

En considérant l’adoption définitive de la loi N 1047/Pjl/An fixant le nombre, la proportion par catégorie et le régime des indemnités des conseillers régionaux.

Le tableau ci-après nous montre les écarts graves en termes de proportions de suffrage.

Région

Nombre de conseillers municipaux

Nombre de conseillers régionaux à élire par les conseillers municipaux

Représentativité des élus

(exemple, pour le littoral, il faut 15 conseillers municipaux pour avoir 1conseiller régional)

Littoral

1016

70

15

Sud

769

70

11

Nord

699

70

10

Centre

1967

70

28

Ce tableau montre clairement la violation des normes internationales sur les élections démocratiques et plus spécifiquement sur l’équité électorale et l’égalité de suffrage, reconnu par la Déclaration universelle des Droits de l’homme en son article 21, et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en son article 25.

Honorables parlementaires,

Considérant la confirmation du vote de la loi fixant le nombre des Conseillers régionaux, tout est désormais prêt pour la mise en place des Régions dans l’esprit de la loi d’orientation de décentralisation. 700 Conseillers régionaux seront de ce fait élus dans les mois qui suivent, par un collège composé des conseillers municipaux en fin de prolongation de mandats. Les régions auront donc ainsi des élus non représentatifs du fait d’un électorat au mandat échu depuis plusieurs mois déjà.

L’Ong Un Monde Avenir attire votre attention sur le fait que ces élections ne peuvent  se tenir et consacrer une légitimité certaine aux élus sans que quatre préalables au moins ne soient réglés.

  1. La reforme consensuelle du cadre juridique électoral dans son ensemble.

La crise postélectorale qui perdure depuis la proclamation des résultats de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018 est due en grande partie au caractère conflictuel de notre dispositif juridique et institutionnel électoral. Plusieurs alertes avaient déjà été faites par les acteurs associatifs et politiques, sur les risques d’organisation d’une élection avec un tel arsenal juridique et institutionnel.

2. Le renouvellement préalable des Conseillers municipaux.

Les Conseillers municipaux actuellement en fonction bénéficient d’une prolongation de mandat, qui finit en septembre 2019. N’ayant plus qu’un statut transitoire, ils ne sauraient donc élire les représentants départementaux au Conseil régional, pour être eux-mêmes remplacés quelques mois plus tard. Il se poserait alors le problème de représentativité et de légitimité, qui peut être à l’origine de la fermentation continue de crises institutionnelles au sein des Conseils régionaux.

3. La résolution de la crise désormais armée dans les régions anglophones.

L’insécurité dans les Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest y rend impossible toute élection sereine. La majorité des Conseillers municipaux qui constituent le collège électoral d’une bonne partie des conseillers régionaux ont quitté ces régions. Les exécutifs communaux sont quant à eux quasiment en cessation de fonctionnement. Dans ces conditions, rien, pas même la présence des forces de défense et de sécurité, ne garantit une élection juste avec la participation de tous les électeurs.

4. Le règlement pacifique de la crise postélectorale.

Il est urgent de rouvrir l’espace de libre expression rétréci depuis plusieurs mois avec les interdictions systématiques de réunions et manifestations ayant trait aux questions de démocratie et de droits de l’homme. De même qu’il est nécessaire de procéder à la libération de plusieurs centaines de leaders politiques et civils détenus suite au conflit post-électoral.

Afin que l’histoire retienne que vous aviez été prévenus, veuillez recevoir, Honorables parlementaires, nos salutations citoyennes.

Le Coordinateur

Philippe NANGA

Lire la version anglaise ici : files/attachment.doc