A tout seigneur tout honneur, nous commençons cette année en marquant un signe de reconnaissance au Président de la république, qui a bien voulu dans son discours de fin d’année, adresser ses vœux les meilleurs à la nation. C’était pour sacrifier à la tradition, et il est resté fidèle. Cette adresse à la nation a été un exercice auquel se sont pliés presque tous les chefs d’État de la planète, chacun dans son style. Il y’a des pays où les chefs d’État, sans rien avoir de pressant se sont adressés à leurs peuples juste pour la forme, il y a des pays où les discours étaient attendus, au vu des sujets de l’heure.

 

Sujets brûlants

Le Cameroun fait partie de ces pays où la sortie du chef de l’Etat était le plus attendu, au moment où le pays est encore traversé par les odeurs de corruption et de surfacturation des marchés de construction des infrastructures de la Can 2019, et dont les conséquences ont été le retard entrainant le retrait de l’organisation. Au moment où la crise sécuritaire dans les régions du Nord-Ouest et du Sud- Ouest est loin d’avoir fini de dévoiler son caractère nébuleux, les enlèvements,  les assassinats et les attaques ne cessent de survenir de façon plus surprenante chaque jour. Pour autant, le président Biya est resté dans son style. Un discours enregistré à l’avance, et simplement diffusé à l’heure dit à la télévision d’Etat repris en relais par les autres médias audio-visuel ou en ligne. Une communication verticale ou  unidirectionnelle, que la Nation devait prendre pour dit, satisfaite ou pas. Et pour que le message passe davantage, des plateaux ont été organisés dans les médias pour faire comprendre ce que le Chef de l’Etat a dit ou voulu dire pour ceux qui n’ont pas compris, avec l’inconvénient que ceux qui expliquent vont souvent au-delà de la pensée de l’auteur pour lui faire dire ce qu’il n’a pas dit.

Quand ailleurs le chef d’Etat communie avec le peuple

Dans un autre pays africain où les sujets brulants devaient être abordés dans le discours à la nation, au Sénégal plus précisément,  le chef de l’Etat ne s’est pas contenté de s’adresser à la nation de façon classique comme les autres. Macky Sall s’est, à la suite de son adresse à la nation, livré à un entretien à la télévision sénégalaise, avec en face de lui une dizaine de journalistes de la presse publique et privée confondues. Au regard des enjeux et de la considération qu’il accorde à sa population, le président sénégalais a bien compris qu’il ne fallait pas seulement lire un discours préparés par les services de la communication du palais. Ces services qui ont l’habitude  d’arranger les formules, d’esquiver des sujets, et faire en sorte qu’à la fin les populations ne se retrouvent pas toujours.

Il a voulu démontrer sa volonté de se fondre dans la masse, en venant affronter directement les opinions représentées par les journalistes de tous bords. Le faisant, il descendait de son trône ou de son fauteuil présidentiel pour venir s’asseoir avec le peuple. Il venait discuter avec eux, prendre leurs avis, les écouter, répondre à des questions, envisager des solutions et penser le pays en intégrants toutes les sensibilités. A ce moment-là il pense ce qu’il dit, et dit ce qu’il pense, et non ce que les autres ont pensé pour lui et introduit dans le discours qu’il devait lire. Ce faisant il esquivait les pièges de son entourage pour communier avec le peuple dans un style désormais défini comme le dow-floor management, qui permette au chef de se mettre sur le même palier que ses subordonnées, pour essayer de comprendre en même temps qu’il se fait comprendre.

Plus important encore, l’échange du président sénégalais avec les journalistes s’est fait en Wolof, la langue nationale du pays. Un moment pendant lequel le pays tout entier, à partir de la présidence, s’est dépouillé de l’instrument colonial qu’est la langue française, pour se parler à lui-même dans sa propre langue. Un moment pendant lequel le président a été interpellé sur les questions de  politique économique, sociale, culturelle, sanitaire, éducationnelle, agricole et autre. Et il a abordé toutes ces questions sans tabou avec des journalistes pour lesquels il avait visiblement beaucoup de considération. Au sortir de ce type d’entretien, qui s’apparente d’ailleurs à un dialogue, les populations se sentent davantage rassurées, et même si les réponses ne satisfont pas toujours tout le monde, il reste au moins le sentiment que le chef n’est pas dans une tour d’ivoire, séparé de son peuple par un mur de glace.

Biya dans sa tour d’ivoire

Le président camerounais lui, est resté dans ses habitudes, de se tenir à distance. L’adresse à la nation était pourtant l’occasion à se saisir pour amorcer le rapprochement vers un peuple qui attend des réponses à moult questions, et des actions concrètes pour redonner espoir. Mais la communication verticale a une fois de plus enlevé du discours tout son charme et sa substance. Surtout que sur un point essentiel le peuple est resté sur sa faim. Faisant allusion au retrait de l’organisation de la Can qui a ouvert la boite à pandore des surfacturations, le président a minimisé l’ampleur de la situation considérant ce retrait comme un « glissement » de date, oubliant au passage qu’il avait lui-même et personnellement pris l’engagement que cette compétition se tiendrait au Cameroun qui devait être prêt le jour dit. Sans aborder les questions les plus préoccupantes de l’heure,  et en restant distant, le Président Biya n’a finalement fait que sacrifier à un rituel, ne faisant finalement du souhait de bonne année qui subsiste dans son discours qu’une simple formule…de politesse

Roland TSAPI