Le 07 Février 2018, le Président de la République du Cameroun, a signé le décret n° 2018/103 du 07 Février 2018 portant convocation du collège électoral en vue de l’élection des Sénateurs.

A la suite de cette convocation, la campagne électorale a eu lieu conformément au Code électoral (loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral modifiée et complétée par la loi n° 2012/017 du 21 décembre 2012).

 Neuf (9) partis politiques dont le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), le Front Social Démocratique (SDF), le Parti Démocratique Uni (UDP), l’Union Démocratique du Cameroun (UDC), l’Union nationale pour la Démocratie et le Progrès (UNDP), l’Union des Mouvements Socialistes (UMS), l’Alliance Nationale pour le Démocratie et le Progrès (ANDP), Front du Salut National pour le Cameroun (FSNC) et l’Union des Populations du Cameroun (UPC), ont participé au scrutin en présentant 280 listes dans les dix régions.

Au terme des opérations de vote, et selon les résultats publiés par le Conseil constitutionnel, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) a gagné 63 sièges contre 07 sièges pour le Front Social Démocratique. De toute apparence donc, et malgré la délocalisation d’un bureau de vote dans la Région du Sud-ouest pour des raisons de sécurité, tout semble s’être passé sans  problème.  

Cependant, spécialisée dans les questions électorales, et engagée en cette année électorale, avec d’autres organisations de la Société civile, dans une Initiative citoyenne pour le renforcement de la démocratie, l’ONG Un Monde Avenir, et ses partenaires associatifs ne peuvent partager cette fausse apparence s’agissant d’un scrutin qui, en dépit de sa simplicité, a été, de notre point du vue, entaché de nombreuses anomalies, dont en particulier la présence excessive et injustifiable des autorités administratives et membres du Gouvernement dans les bureaux de vote. Nous ne pouvons de ce fait, faire l’économie de quelques interrogations et observations que nous tenons à partager avec le Gouvernement, l’opinion publique et les partenaires du Cameroun :

  1. Sur l’opportunité du scrutin et la légitimité des élus.

Etait-il opportun d’organiser une telle élection sachant que le collège qui doit élire les Sénateurs est actuellement incomplet (constitué des seuls Conseillers municipaux) et non conforme à la Constitution dont les articles 20 (1) et 55 disent respectivement que « le SENAT représente les collectivités territoriales décentralisées »   et que « les Collectivités territoriales décentralisées de la République sont les Régions et les Communes. >> Cette non-conformité du scrutin aux règles porte aussi sur l’article 221 (1) du Code électoral en vigueur  qui précise que les sénateurs sont élus dans chaque région par un collège électoral composé des conseillers régionaux et des conseillers municipaux.

Le Sénat ayant été mis en place depuis 2013, Un Monde Avenir et ses partenaires associatifs  se demandent pourquoi le Président de la République, dont le parti est majoritaire dans toutes les institutions, a préféré se réfugier derrière l’article 241 du Code électoral, qui dit que « Nonobstant les dispositions de l’article 221 alinéa 1 ci-dessus, au cas où la mise en place du Sénat intervient avant celle des Régions, le collège électoral pour l’élection des sénateurs est composé exclusivement des conseillers municipaux », alors que la mise en place des Régions aurait pu avoir lieu entre 2013 et 2017.

  1. Sur la représentativité des élus

L’ONG Un Monde Avenir et ses partenaires associatifs, au regard des conditions et circonstances de cette élection, posent la question de savoir qui les sénateurs ainsi élus représentent-ils. Est-ce que ce sont les partis politiques qui sont représentés au Sénat, ou bien les Collectivités territoriales décentralisées ? Comme si cette institution était représentative des idéologies politiciennes et non pas des intérêts des populations de leurs Régions. Le Chef de l’Etat aurait dû consacrer son quota de 30% à la représentation des corps socioprofessionnels n’étant pas membres des partis politiques (opérateurs économiques, syndicats, société civile, diaspora camerounaise, etc.) à défaut d’extirper cette disposition de la constitution.

  1. Sur l’organisation.

Si l’organisation n’a pas échappé à ses irrégularités et improvisations coutumières favorisées par la non maitrise du calendrier électoral par ELECAM, elle a été spécialement marquée par la question sécuritaire, notamment dans la Région du Sud-ouest où un bureau de vote a du être délocalisé de Lebialem à Dschang dans la région de l’Ouest, et par le retour massif des autorités administratives dans les bureaux de vote (gouverneurs, préfets, sous-préfets, Délégués du gouvernement, avec en prime des ministres dans les régions du Sud et du Centre).

 Un Monde Avenir et ses partenaires déplorent que le personnel d’ELECAM qui préside les bureaux de vote et en assure la police, selon le Code électoral, n’aie nulle part eu le même pouvoir pour rappeler à l’ordre les autorités administratives et autres personnalités proche du pouvoir très présentes dans les bureaux de vote, que pour expulser les observateurs prétendument « non accrédités ». Ils ont néanmoins noté les efforts faits par ELECAM pour fournir en temps réel dans les bureaux de vote toute la logistique nécessaire aux opérations de vote.

  1. Sur la contribution des médias.

Un Monde Avenir et ses partenaires associatifs sont convaincus de la consubstantialité de la démocratie et de la liberté d’expression. Ils ont pu constater au cours de la campagne des sénatoriales, pour le déplorer vivement, que le Conseil national de la Communication n’était pas en phase avec la volonté énoncée du Gouvernement de favoriser le renforcement de la démocratie par la liberté de la presse. Ils en veulent pour preuve, un communiqué publié par cet organisme le 09 mars 2018 intitulé « Directives du régulateur en direction des médias», et demandant aux médias, notamment audiovisuels d’arrêter la diffusion de toutes émissions à caractère politique pendant toute la campagne électorale en vue des sénatoriales 2018.

Un Monde Avenir et ses partenaires trouvent inacceptable dans un contexte où des efforts doivent tendre plutôt à rendre nos médias plus efficaces dans l’éducation politique des citoyens, qu’un Organisme public se signale si souvent, par de telles violations de la liberté d’expression et du droit à l’information des citoyens, sans que le Gouvernement lui fasse entendre raison.

  • Au regard de ce qui précède,

Un Monde Avenir et ses partenaires associatifs observent que si les élections sénatorial du 25 mars dernier ce sont déroulé dans un calme apparent, il serait incongru de conclure que le processus a été transparent encore moins qu’il présage de l’Universalité et de la transparence de celles qui arrivent dans les mois prochains. Les difficultés connues sur le plan sécuritaire au cours de ce scrutin vont être d’autant plus graves que les élections avenir seront au suffrage universel direct. Et la présence massive des autorités administratives et militaires dans les bureaux de vote ne sont pas non plus un présage d’élections paisibles.

A défaut de prendre des mesures législatives en plein année électorale, Un Monde Avenir et ces partenaires associatifs soulignent la nécessité d’une réflexion ouverte autour des exigences nominales  préalables,  à un processus démocratique.

Ils considèrent nécessaire :

  • Que le Président de la République prenne en compte les suggestions et propositions concrètes pour l’instauration des conditions consensuelles d’élections libres, universelles, transparentes et justes qui lui ont été faites ces 2 dernières années par les politiques, la société civile et les personnalités camerounaises de tout bord, par la Communauté internationale, ainsi que des directives démocratiques auxquelles le Cameroun a souscrit à travers les instruments des Nations unies, de l’Union Africaine, de la Francophonie et du Commonwealth
  • Qu’à minima, le Président de la république prenne en compte les exigences démocratiques et citoyennes ci-après, susceptibles d’ancrer le processus démocratique du Cameroun dans la construction d’une cohésion nationale. A savoir :
  • L’indépendance politique et l’autonomie administrative et financièred’Elections Cameroun ;
  • Un Code électoral consensuel[1] ou un minimum de close consensuel pour garantir un processus électoral juste et transparent.
  • Une loi équitable sur le financement des campagnes électorales, mettant tous les partis à égalité des chances de déploiement ;
  • La garantie d’un suffrage universel par la pacification des régions du Nord –Ouest et du Sud – Ouest dont les milliers de personnes se trouvent en situation de déplacées interne et ou de réfugiées dans les pays voisins.

 

Fait à Douala le 07 Avril 2018

Philippe NANGA

Coordinateur de l’ONG Un Monde Avenir

 


[1] pour lequel d’ailleurs le Président et son gouvernement sont en possession des propositions de la société civile portées par Dynamique citoyenne